La Chine lorgne sur le récif philippin « Julian Felipe », où elle a envoyé 220 navires de sa milice maritime

Entre 1994 et 1995, la Chine envoya des « pêcheurs », appartenant en réalité à sa milice maritime [PAFMM – People’s Armed Forces Maritime Militia],  dans les environs du récif philippin Mischief, situé dans l’archipel Spratley, dans le sud de la mer de Chine méridionale. Et, profitant de l’absence de la marine des Philippines, elle y entreprit d’y construire des structures sur pilotis. Évidemment, Manille protesta… mais Pékin répondit qu’il ne s’agissait que d’abris pour les pêcheurs.

Puis, quatre ans plus tard, il s’avéra que les constructions sur le récif avait plutôt une finalité militaire… Certes, le gouvernement philippin protesta à nouveau. Mais les choses n’allèrent pas plus loin, afin de ne pas envenimer la situation. Depuis, l’APL y a établi une base.

En 2012, le même scénario se répéta, avec, cette fois, le récif philippin de Scaborough, situé au large de l’île de Luçon, dans le centre-est de la mer de Chine méridionale. Là, Manille saisit la Cour permanente d’arbitrage [CPA] de La Haye, qui, en juillet 2016, lui donna raison, estimant que la Chine avait violé les droits souverains des Philippines dans leur zone économique exclusive [ZEE] et rejetant ainsi les prétentions chinoises au motif qu’elles ne reposaient sur « aucun fondement juridique ». Un verdict que Pékin refusa, le qualifiant de « nul et non avenu. »

Cela étant, Manille n’alla pas plus loin… en raison de l’arrivée au pouvoir de Rodriguo Duterte. À peine élu, ce dernier s’empressa de réorienter la politique étrangère de son pays vers la Chine et la Russie, aux dépens des États-Unis. Et les conflits territoriaux furent mis en sourdine grâce aux milliards d’investissements alors promis par Pékin.

En 2019, une flottille de 200 navires, appartenant à la milice maritime chinoise, fut signalée dans les environs de l’îlot philippin de Pag Asa [encore appelé « Thitu »], situé dans l’archipel Spratley. Mais le président Duterte ne cacha pas son exaspération face à cette incursion. « Je ne vous l’ordonne pas et je ne vous le demande pas non plus à genoux, je vous dis simplement de ne pas toucher à Pag-asa, car j’y ai des soldats. Si vous y touchez, ce ne sera plus la même chose. Je demanderai aux soldats de ‘préparer une mission-suicide' », déclara-t-il, à l’occasion de la commémoration de la bataille de Bataan.

Par ailleurs, l’opinion publique philippine étant plutôt hostile à « l’expansionnisme » chinois et les investissements promis par Pékin ne s’étant pas concrétisés [seulement deux projets ont été lancés… et ils sont à l’arrêt], le président Duterte a amendé sa politique. En 2020, Manille a ainsi publié une déclaration de solidarité avec le Vietnam, après qu’un navire de la garde-côtière chinoise a coulé un bateau de pêche vietnamien en mer de Chine méridionale. Et, en juillet, le ministère philippin des Affaires étrangères a émis une note pour appeler Pékin à se conformer au verdict énoncé par la CPA de La Haye au sujet du récif de Scarborough.

Pour autant, et quelles que soient ses relations avec les Philippines, la Chine n’a pas l’intention de renoncer à ses prétentions territoriales. Si elle semble avoir abandonné la partie – pour le moment – pour l’île de Pag Asa, elle lorgne désormais sur le récif de Whitsun [encore appelé « Julian Felipe » à Manille], situé au sud-ouest de l’archipel Spratley, à 320 km de l’île philippine de Palawan. En effet, 200 navires de la milice maritime chinoise y ont été repérés dans les environs par la marine et les garde-côtes philippins.

Les premières constatations ayant été été faites le 7 mars, il aura fallu attendre deux semaines pour que le ministre philippin de la Défense, Delfin Lorenzana, fasse une déclaration officielle.

« Nous appelons la Chine à immédiatement cesser cette incursion et à rappeler ces bateaux qui violent nos droits maritimes et s’infiltrent dans notre territoire souverain », a dit le ministre, via un communiqué publié le 21 mars. « Ceci est clairement une action provocatrice visant à militariser la zone. Il s’agit de territoires qui se trouvent largement à l’intérieur de la Zone économique exclusive des Philippines », a-t-il ajouté.

Et Manille a dit réfléchir à la « réaction appropriée » pour protéger les pêcheurs philippins et les ressources maritimes du pays tout en maintenant la paix et la stabilité dans la région. De son côté, le ministre philippin des Affaires étrangères, Teodoron Locsin, a adressé une note de protestation diplomatique à Pékin.

Ce 22 mars, l’ambassade de Chine aux Philippines a dit avoir « pris note » de la protestation de Manille… Mais elle a nié la présence de « prétendus navires de la milice maritime chinoise à Niú è jiāo » [le nom chinois du récif en question, ndlr].

Et d’ajouter : « Niú è jiāo appartient à l’archipel Nansha [nom chinois des îles Spraleys, ndlr], qui fait partie de la Chine. Les navires de pêche chinois pêchent dans eaux adjacentes depusi de nombreuses années. Récemment, certains bateaux de pêche chinois se sont abrités près de Niú è jiāo en raison de conditions de mer agitées. Il est normal que les bateaux de pêche chinois se mettent à l’abri dans de telles circonstances. Il n’y a pas de milice maritime chinoise comme on le prétend. Toute spéculation à ce sujet n’aide rien mais provoque une irritation inutile. On espère que la situation pourra être gérée de manière objective et rationnelle. »

Seulement, les bateaux en question sont toujours présents dans la zone concernée…

« Le commandement occidental des Forces armées des Philippines a ordonné l’envoi de moyens de l’armée de l’air et de la marine pour effectuer des patrouilles de souveraineté aérienne et maritime afin de documenter le rapport » sur la violation chinoise, a fait savoir un porte-parole militaire, le 21 mars.

Le résultat de ces patrouilles a été communiqué le lendemain par le général Cirilito Sobejana, le chef d’état-major philippin. « Ils sont toujours là et nous les comptons soigneusement », a-t-il en effet dit à la presse. « L’armée continue de surveiller la situation dans le respect des lois internationales et de la préservation du statu quo dans la mer des Philippines occidentale », a-t-il précisé.

Photo : Gouvernement des Philippines

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]