Désaccords sur le SCAF : Le Pdg de Dassault Aviation donne des détails sur son « plan B »

« Ça commence à bouillir un peu! Et que dit le DGA [Délégué général pour l’armement]? « , a lancé Éric Trappier, le Pdg de Dassault Aviation, lors d’une audition au Sénat sur les difficultés du programme SCAF [Système de combat aérien du futur], menée en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne.

Conduit par la France [et donc par la Direction générale de l’armement], le projet SCAF vise à concevoir un « système de systèmes » reposant sur le « New Generation Fighter », un avion de combat de 6e génération dont la maîtrise d’oeuvre a été confiée à Dassault Aviation, Airbus ayant un rôle secondaire pour le pilier n°1 du programme.

Seulement, l’arrivée de Madrid dans ce projet, favorisée par Berlin, a changé la donne puisque Dassault Aviation doit désormais composer avec Airbus Allemagne et Airbus Espagne, qui appartiennent évidemment à la même maison.

Aussi, le constructeur français a-t-il dû faire quelques concessions, comme accepter de n’avoir plus qu’un tiers de la charge de travail, les deux autres tiers revenant à Airbus. Les discussions sur la phase 1B [celle ouvrant la voie à un démonstrateur] devant aboutir avant la tenue des prochaines élections fédérales allemandes, Dassault Aviation a également dû accepter qu’environ 50% de tâches spécifiques se fassent sans qu’il y ait un responsable désigné [c’est à dire qu’elles doivent se faire ensemble [ou en « joint »]… Et que l’autre moitié soit partagées selon la règle des trois tiers, les deux tiers revenant à Airbus.

« Il faut toujours se méfier quand on vous dit d’aller vite dans une négociation. Celui qui est pressé, c’est celui qui va perdre », a commenté M. Trappier, laissant entendre qu’il regrettait d’avoir accepté autant de concessions… Car il lui est maintenant demandé d’en faire davantage. Ainsi, et c’est le sens des propos tenus à l’issue du dernier conseil de défense franco-allemand, en février, par la chancelière Merkel, au sujet de la « propriété industrielle, du partage des tâches et du partage de leadership. »

Ainsi, selon M. Trappier, l’Allemagne exige d’avoir les manettes sur les commandes de vol du NGF, mais aussi sur son architecture fonctionnelle [dont dépendront ses capacités opérationnelles], le cockpit [et plus précisément l’interface homme-machine] et la furtivité. En clair, tous les domaines « stratégiques ». Céder reviendrait, pour Dassault Aviation, à renoncer à la maîtrise d’oeuvre.

Quant aux questions relatives à la propriété intellectuelle [et donc à plus de 75 ans d’expérience en matière d’aviation de combat], il est hors de question pour le constructeur français d’y renoncer. C’est même un casus belli.

En somme, a résumé M. Trappier, ce que chercheraient l’Allemagne et l’Espagne serait d’établir le même modèle de coopération que celui de l’Eurofighter… Modèle qui n’a pas forcément été des plus heureux en termes de coûts, le développement de cet appareil ayant été très cher pour chacun des pays concernés [Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Espagne] par rapport à celui du Rafale pour la France.

Plus généralement, et alors qu’elle a contesté le rôle que devait tenir Safran dans la conception des moteurs du NGF pour mieux faire avancer la cause du motoriste MTU, l’Allemagne a pris la direction d’autres piliers du SCAF, dont ceux des effecteurs connectés [ou « remote-carrier »] et du « cloud » de combat.

D’après M. Trappier, le pilier n°3, c’est à dire des effecteurs connectés, viserait désormais à développer un drone de combat [UCAV], alors que Dassault Aviation a déjà une certaine expérience en matière avec le nEUROn. Cela étant, en novembre 2019, Airbus avait dévoilé le LOUT, un démonstrateur de drone furtif développé avec l’appui de Berlin. Il faut donc bien que de tels travaux servent à quelque chose…

« La France a donné le leadership du drone à Airbus Allemagne et je ne parle pas de l’Eurodrone », a-t-il dit aux Sénateurs. Voilà donc pourquoi « ça commence à bouillir un peu! ».

Lors de la présentation des résultats de Dassault Aviation pour l’année 2020, et après avoir fait état des difficultés sur le NGF et rappelé que l’industrie française avait les capacités de réaliser seule le SCAF, M. Trappier avait évoqué un « plan B », dans en dire plus. Devant les sénateurs, il a précisé sa pensée.

Évidemment, la France peut développer seule le SCAF, à la condition qu’il y ait une volonté politique et le budget pour cela. Mais ce n’est pas l’issue qu’envisage Éric Trappier pour son plan B.

« Mon plan B, ce n’est pas forcément de le faire tout seul, c’est de trouver une méthode de gouvernance qui permette d’emmener des Européens, mais pas dans les règles qui ont été fixées aujourd’hui [pour le SCAF] car ça, ça ne marchera pas », a affirmé le Pdg de Dassault Aviation.

Durant son audition, ce dernier est revenu à plusieurs reprises sur le nEUROn, le démonstrateur de drone de combat développé dans le cadre d’une coopération européenne, emmenée par Dassault Aviation.

Et c’est visiblement à ce mode de fonctionnement qu’il songe quand il parle d’un plan B. D’autant plus que le nEUROn a été une réussite. Assez rapidement et avec six pays [France, Espagne, Suisse, Suède, Italie, Grèce, ndlr], « on a fait voler un drone de la taille d’un Mirage 2000, ultrafurtif », avec des « performances meilleures que les spécifications » initiales [elles sont d’ailleurs classées « secret défense »], tout en restant dans « le budget de 450 millions d’euros, dont la moitié payée par la France », a rappelé M. Trappier.

Et la différence avec le SCAF, c’est que Dassault Aviation avait pu choisir ses sous-traitants…

Cette coopération avait réuni plusieurs conditions : un maître d’oeuvre unique, une organisation simple et claire, un seul interlocuteur [en l’occurrence, la DGA], des apports des partenaires basés sur leurs compéteces et « non sur celles qu’ils auraient pu acquérir aux frais du programme et donc du contribuable européen », avait souligné Charles Edelstenne, l’ex-Pdg de Dassault Aviation, en 2012. Des propos prophétiques…

« C’est toujours long de bâtir un plan B et quand vous avez bâti votre plan B et que vous êtes sûrs qu’il va marcher, il devient le plan A. Aujoud’hui, j’ai juste montré qu’il y a des plans B, d’un point de vue coopération, méthode d’organisation et gouvernance », a ensuite repris M. Trappier lors de son audition.

S’agissant des « coopérants », le Pdg de Dassault Aviation a souligné qu’ils lui ont été imposés par l’État. « Je n’ai pas choisi l’Allemagne », a-t-il dit. « Quand on a fait le nEUROn, là on a choisi. On nous a dit : ‘on va faire un nEUROn et trouvez-nous des partenaires’. Donc, j’ai été cherché les partenaires. […] On a bâti la coopération politique autour d’une volonté industrielle. Ce n’est pas le cas aujourd’hui », a-t-il conclu.

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