La facture des 15 futures frégates Type 26 canadiennes s’envole

En juin 2010, le gouvernement canadien, alors dirigé par le conservateur Stephen Harper, présenta une « Stratégie nationale d’approvisionnement en matière de construction navale » [SNACN] qui, dotée d’une enveloppe d’une trentaine de milliards de dollars canadiens sur 30 ans, devait permettre le renouvellement de la flotte de surface de la Marine royale canadienne [MRC] ainsi que celui des moyens de la garde-côtière.

En 2011, le chantier naval Irving, implanté à Halifax, fut retenu pour construire 15 frégates, pour un coût alors estimé à 26 milliards de dollars canadiens [soit 7,8 milliards d’euros à l’époque]. Et le premier bâtiment devait être livré en 2020 au plus tard. Mais rien ne s’est passé comme prévu… Pire : la construction des navires n’a même pas commencé, ce qui fait que la MRC n’en verra pas la couleur avant 2031.

Selon les plans, il était question de choisir un modèle de frégate, de préférence éprouvé, puis de l’adapter aux besoins canadiens. Un appel d’offres fut ainsi lancé à cette fin. Le tandem Fincantieri/Naval Group tenta sa chance en proposant la Frégate multimissions [FREMM], de même que Alion Canada/Damen [frégate De Zeven Provinciën Air Defence and Command] et l’espagnol Navantia [frégate F-100]. Finalement, ce fut la frégate de Type 26, soumise par le britannique BAE Systems associé à Lockheed-Martin, qui remporta la mise. Au passage, la facture fut réévaluée… à 60 milliards de dollars canadiens [avant les taxes].

Seulement, le souci est que la frégate Type 26 n’est opérationnelle nulle part [à commencer au sein de la Royal Navy]. Et que la construction du premier exemplaire destiné à la MRC ne commencera pas avant de 2023… D’où la livraison attendue au début de la prochaine décennie [soit 20 ans après la publication de la stratégie d’approvisionnement naval].

Pire encore. Selon un rapport du Directeur parlementaire du budget [DPB], dévoilé cette semaine, le coût estimé des 15 frégates est passé de 26 à 77,3 milliards de dollars canadiens, « en raison des retards importants de construction et du poids des navires maintenant plus élevé que prévu. »

« On est confiant que notre estimation est très très réaliste. On croit que c’est un scénario qui est plausible à la condition qu’il n’y ait pas de changements additionnels dans le design des navires par la Défense nationale », a expliqué son auteur, Yves Giroux, à Radio Canada.

Et encore, selon le DPB, à partir de maintenant, chaque année de retard supplémentaire est susceptible d’alourdir la note de 2,3 milliards de dollars.

Cela étant, le ministère canadien de la Défense conteste l’évaluation du rapport. « Nous constatons que les grandes différences entre notre estimation des coûts et celle du DPB sont principalement attribuables au fait que le DPB inclut la taxe de vente provinciale et met un plus grand accent sur les coûts liés au poids », a-t-il réagi.

Dans son rapport, M. Giroux a évalué ce qu’il en coûterait de sélectionner un modèle différent que le Type 26. Ainsi, selon lui, la construction de 15 FREMM permettrait de réduire la note de 6 milliards de dollars. Et le choix des frégates britanniques de Type 31e serait encore plus économique puisqu’il coûterait 27,5 milliards… Soit, peu ou prou, le budget prévu en 2011. Mais les capacités militaires ne seraient pas les mêmes.

Mais il n’est pas question pour le ministère canadien de la Défense de revoir ses plans. « À ce stade, le fait de choisir un nouveau modèle causerait d’importantes pertes économiques à l’industrie navale du Canada et à ceux et celles qui y œuvrent. En outre, le lancement d’un nouveau processus concurrentiel ne garantirait pas qu’un nouveau modèle serait retenu et que celui-ci serait d’un moindre coût », a-t-il fait valoir.

Justement, la gestion de ce dossier par ce dernier a été vivement critiquée par Karen Hogan, la vérificatrice générale fédérale du Canada, dans un rapport publié un jour après celui du DPB.

« La livraison de nombreux navires a été considérablement retardée et de nouveaux retards pourraient entraîner le retrait de plusieurs navires avant que de nouveaux navires ne soient opérationnels », a ainsi déploré Mme Hogan. « La Défense nationale et la Garde côtière canadienne ont pris des mesures pour préserver leurs capacités opérationnelles jusqu’à la livraison des nouveaux navires, mais ces capacités provisoires sont limitées et ne peuvent pas être maintenues indéfiniment », a-t-elle ensuite prévenu.

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