Fin du SCAF? L’industrie allemande veut son propre démonstrateur d’avion de combat

Il y a un an, la phase 1A du programme SCAF [Système de combat aérien du futur], mené en coopération entre la France, l’Allemagne et l’Espagne, pouvait être [enfin] lancée après des mois de tergiversations. Ce qui ouvrait la voie au développement d’un démonstrateur pour le New Generation Fighter [NGF], c’est à dire l’avion de combat qui sera au centre de ce « système de systèmes ». Et les responsabilités des uns et des autres étaient alors clairement établies.

Ainsi, Dassault Aviation fut désigné comme maître d’œuvre pour le NGF, avec Airbus comme partenaire principal. Dans le même temps, le groupe européen devait diriger les travaux concernant les effecteurs connectés [avec MBDA] ainsi que le « Cloud » de combat [avec Thales]. Enfin, la responsabilité du développement des moteurs fut confiée à Safran, en partenariat avec MTU, dont l’expérience dans ce domaine est limitée.

Or, c’est ce partage des tâches qui a été remis en cause lors du dernier conseil de défense franco-allemand, le 5 février dernier, par Angela Merkel, la chancelière allemande.

« C’est un projet sous leadership français mais il fait quand même que les partenaires allemands puissent être à un niveau satisfaisant face à leurs homologues [français]. Nous devons donc voir très précisément les questions de propriété industrielle, de partage des tâches et de partage de leadership », a en effet lancé Mme Merkel, après avoir demandé, au passage, de « créer très rapidement les conditions qui permettront de faire passer le dossier devant le comité des affaires budgétaires du Bundestag. »

En clair, comme ce dernier aura à se prononcer sur les futurs investissements qu’exige la prochaine phase du programme SCAF, il a le pouvoir de tout bloquer… Surtout s’il estime que les doléances des industriels allemands sont insuffisamment prises en compte.

Justement, le 12 février, le comité d’entreprise [allemand] d’Airbus Defence & Space [le « Betriebsrat » a des prérogatives élargies par rapport à son homologue français, ndlr] et le syndicat IG Metall ont précisé ces dernières. Et ils ont plaidé pour que l’Allemagne développe son propre démonstrateur, qui serait basé sur l’Eurofighter.

Ainsi, pour le moment, il ne serait question de développer qu’un seul démonstrateur, basé sur le Rafale de Dassault Aviation. D’où les critiques allemandes.

Il est « crucial de transférer à la jeune génération les connaissances des ingénieurs qui ont travaillé sur le Tornado et l’Eurofighter. Si l’Allemagne ne construit pas son propre démonstrateur, ce savoir-faire sera perdu », a fait valoir Bernhard Stiedl, du syndicat IG Metall.

Le président du comité d’entreprise général d’Airbus Defence and Space, Thomas Pretzl, n’a pas dit autre chose. Développer, en Allemagne, « notre propre démonstrateur basé sur l’Eurofighter est d’une importance capitale pour l’industrie allemande de la défense. Nous seulement pour nos collègues d’Airbus mais aussi pour les nombreux fournisseurs allemands de taille moyenne », a-t-il affirmé. Et d’estimer qu’une « répartition équitable des contrats de développement est essentielle pour une coopération internationale réussie. »

« Avec un volume de 300 milliards d’euros, c’est le plus grand projet de défense des prochaines années – et donc l’un des plus grands projets de politique industrielle en Europe dans un avenir proche. Si l’Allemagne renonce désormais à un démonstrateur au début du projet, alors le SCAF deviendra un projet de politique industrielle pour la France, financé dans une large mesure par l’Allemagne », plaide le comité d’entreprise d’Airbus Defence & Space.

Mais M. Pretzl a donné une autre raison pour que Berlin développe son propre démonstrateur : l’échec possible de la coopération entamée avec la France et l’Espagne. « Cela garantirait la poursuite des travaux en Allemagne », a-t-il dit.

Cela étant, si l’Allemagne développe son propre démonstrateur, pourra-t-on encore parler de « coopération » puisque cela donnerait lieu à deux avions de combat différents?  Et quelle place aurait la Direction générale de l’armement, qui assure la maîtrise d’ouvrage du programme?

Pour rappel, côté français, le Pdg de Dassault Aviation, Éric Trappier, ne voit pas les choses de la même manière que la partie allemande. « Le but n’est pas simplement de se partager le travail mais d’être efficace », a-t-il dit, dans un entretien donné au Journal de l’Aviation. Et d’estimer que la pratique dite du « geo-return » n’est pas la plus pertinente qui soit.

« Il ne faut pas sacrifier la coopération à un partage des tâches à ce point équilibré au millimètre près, où chacun ferait la même chose que l’autre », a-t-il estimé, soulignant que « si on achète américain, il n’y a pas de geo-return du tout. »

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