Le Royaume-Uni aurait proposé à la Turquie une aide technique pour construire un porte-avions

Tant au niveau de l’Otan que de l’Union européenne, tout le monde ne partage pas la position affichée par la France et la Grèce au sujet des actions turques en Méditerranée orientale, voire des provocations d’Ankara.

Ainsi, en décembre, malgré la détermination du président du Conseil européen, Charles Michel, et du Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, l’Union européenne a décrété des sanctions « cosmétiques » à l’égard de la Turquie, se contentant de mesures « individuelles » concernant les personnes impliquées dans les recherches d’hydrocarbures en Méditerranée orientale. Une liste devait alors être établie avant d’être soumise à l’approbation des États membres.

« Une quelconque décision de sanctions de l’UE n’est pas un grand souci pour la Turquie », avait en outre affirmé Recep Tayyip Erdogan, le président turc, peu avant l’annonce des mesures européennes.

Dans cette affaire, Berlin n’était pas favorable à l’adoption d’une « ligne dure ». Et comme la règle de l’unanimité au sein des 27 est de mise, un accord sur le plus petit dénominateur commun fut ainsi trouvé.

« Il est également vrai que l’Allemagne doit aussi tenir compte de facteurs qui touchent moins la France. Nous sommes le pays cible des réfugiés. Près de 3 à 4 millions de concitoyens d’origine turque vivent en Allemagne. Et enfin, nous avons de forts intérêts économiques dans le Bosphore puisqu’un certain nombre de nos chaînes d’approvisionnement industriel passent par la Turquie », avait alors expliqué Günter Seufert, de l’Institut allemand de Politique Internationale et de Sécurité [SWP] à l’hebdomadaire Marianne.

Maintenant que la situation en Méditerranée orientale semble s’être apaisée, le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, a visiblement eu des échanges fructueux avec son homologue allemande, Annegret Kramp Karrenbauer, lors d’un déplacement à Berlin, le 2 février.

Selon le compte-rendu de cette rencontre fait par le ministère allemand de la Défense, Mme Kramp Karrenbauer a souligné que « le dialogue et le compromis entre les deux alliés de l’Otan que sont l’Allemagne et la Turquie sont essentiels pour l’Alliance », les deux pays ayant « la stabilité du flanc sud-est » de l’Otan comme intérêt commun. Et d’ajouter : « Ankara est un partenaire fiable et proche qui apporte contribution substantielle à la sécurité européenne », en citant le Kosovo et l’Afghanistan. Quant à la Méditerranée orientale, elle affirmé qu’une « nouvelle escalade devait être évitée. »

Alors que l’Allemagne avait décrété un embargo sur les matériels militaires susceptibles d’être utilisés par les forces turques contre les milices kurdes syriennes, M. Akar a indiqué que des « décisions concrètes seront prises dans les prochains jours [avec Berlin] sur les questions de sécurité et de défense », soulignant que l’Alleamgne est le « principal allié de la Turquie », tant à l’Otan et à l’OSCE qu’au Conseil de l’Europe. Et d’ajouter : « Dans le cadre fixé par le président [Erdogan] et la chancelière allemande, il va être possible dans un futur proche de mener certains travaux plus constructifs, plus positifs et plus productifs. »

Des travaux plus « constructifs et productifs », il en est question avec… le Royaume-Uni, qui a signé un accord commercial avec la Turquie le 29 décembre dernier, afin de « garantir les droits de douanes préférentiels existant pour 7.600 entreprises [britanniques] qui ont exporté vers la Turquie en 2019 » et de « protéger les chaînes d’approvisionnement dans les secteurs automobiles et manufacturiers. »

Mais d’après le site Middle East Eye, qui cite plusieurs sources proches du dossier et dont les informations ont été reprises par le quotidien pro-gouvernemental turc « Daily Sabah », la Turquie aurait sollicité le Royaume-Uni pour lui acheter un porte-avions de classe « Queen Elizabeth », voire, faute de mieux, un navire de la classe « Invicible ». S’il a refusé de répondre favorablement à cette requête, le gouvernement britannique aurait en revanche proposé à la partie turque un soutien technique pour construire un tel bâtiment.

Le mois dernier, lors d’une cérémonie organisé à l’occasion du lancement de la nouvelle frégate Istanbul [F-515], construite par Istanbul Naval Shipyard, le président Erdogan a déclaré qu’un « porte-avions conçu localement, à la suite du navire Anadolu, amènera la Turquie en première division dans ce domaine. »

Quelques mois plus tôt, M. Erdogan avait affirmé que la Turquie faisait « partie des dix pays capables de concevoir et de produire ses propres navires de guerre. » Et d’ajouter : « Je vois des constructeurs de navires avec nous aujourd’hui. Nous pouvons construire les deuxième et troisième porte-avions, n’est-ce pas? Peut-on? Parce que nous en avons besoin pour dissuader en mer. Nous continuons à travailler et à produire avec la conscience que nous n’avons pas une minute à perdre. »

Cette année, la marine turque mettra en service le TCG Anadolu, un navire d’assaut amphibie pouvant embarquer des avions de combat à décollage court et à atterrissage vertical [STOVL], comme le F-35B. Or, ce bâtiment est en réalité identique au Juan Carlos I espagnol [ainsi qu’aux HMAS Adelaide et HMAS Canberra australiens]. Une seconde unité, le TCG Trakya, est en projet.

Cela étant, le TCG Anadolu ne peut pas être qualifié de porte-avions à proprement parler. En outre, la Turquie n’a pas d’avions de combat pouvant opérer depuis son pont d’envol. Et comme elle a été exclue du programme F-35, on voit mal comment elle pourrait s’en procurer. Sauf à ce que l’administration Biden revienne sur les décisions prises durant la présidence de M. Trump. Par ailleurs, se doter d’une telle capacité opérationnelle ne s’improvise pas.

Quoi qu’il en soit, sollicité par Middle East Eye, un porte-parole du ministère britannique du Commerce international n’a ni confirmé, ni démenti la proposition faite à Ankara par Londres. « En tant qu’alliés proches au sein de l’Otan, le Royaume-Uni et la Turquie entretiennent depuis longtemps des relations bilatérales solides en matière de défense, fondées sur la coopération et la collaboration », a-t-il répondu, par écrit. Les deux pays « ont des discussions régulières sur une série de questions de défense et de sécurité. Nous ne commentons pas les détails de ces discussions », a-t-il conclu.

Photo : chantier du TCG Anadolu

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