La France aurait-elle intérêt à lancer un projet de nouveau char sans attendre le MGCS?

Au regard de l’évolution de la situation internationale, la Revue stratégique actualisée, publiée le mois dernier, affirme que les « armées françaises devront […] retrouver progressivement une masse critique suffisante, en effectifs et en équipements pour, à la fois, imposer des rapports de force favorables, durer en compensant une attrition potentiellement élevée et s’engager sur plusieurs théâtres. »

Évidemment, tout dépendra de la nature des engagements dans lesquels les armées françaises pourraient être engagées. En tout cas, pour ce qui concerne l’Arme blindée cavalerie [ABC], prendre de la masse signifie qu’il faudrait aller au-delà des 222 chars Leclerc actuellement en dotation.

Il fut un temps où le char lourd semblait condamné sur l’autel des économies budgétaires, certains allant jusqu’à dire qu’il n’était plus qu’un vestige de la Guerre froide. Donc inutile.

La réalité, comme toujours, a démenti ce type d’affirmation… Si l’on considère les conflits les plus récents, on s’aperçoit que le char est toujours de la partie, que ce soit au Yémen, dans le Donbass [Ukraine] ou plus récemment au Haut-Karabakh, où il a été le fer de lance de l’offensive lancée par l’Azerbaïdjan.

« Au moins autant que l’acquisition de drones armés [par l’Azerbaïdjan], c’était l’acquisition ces dernières années de cent chars russes T-90, avec une option pour cent autres, qui auraient dû inquiéter le commandement arménien. Ils sont venus s’ajouter à un parc déjà conséquent de 95 T-55 peu utilisés, mais surtout de 470 T-72 dont certains modernisés avec l’aide israélienne. Même en ne considérant que les engins les plus modernes, c’est un arsenal considérable pour un pays de cette importance », note ainsi le colonel Michel Goya, dans une étude de ce conflit.

Quoi qu’il en soit, et pour le moment, hormis l’Engin blindé de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar, qui remplacera les AMX-10RC, l’ABC devra patienter pour remplacer ses 222 Leclerc [par ailleurs en attente d’être « revalorisés »] par le MGCS [Main Groud Combat System], c’est à dire le système de combat terrestre centré autour d’un char de combat franco-allemand. Cette capacité doit être prête à l’horizon 2035. Et en une petite quinzaine d’années, il peut se passer beaucoup de choses…

Cela étant, en 2018, KNDS, la co-entreprise formée par Krauss-Maffei Wegmann [KMW] et Nexter Systems, a présenté l’Euro Main Battle Tank [EMBT], un premier char franco-allemand reprendant le châssis d’un Leopard et la tourelle d’un Leclerc.

« Composé de technologies éprouvées, le EMBT est une réponse à court-terme au besoin opérationnel du marché en matière de chars de combat de haute intensité. En assemblant un châssis, certifié MLC70, et une tourelle légère opérée par seulement 2 membres d’équipage au lieu de 3, le EMBT rassemble le meilleur en matière de char de combat, avec un potentiel de croissance exceptionnel [environ 6t] qui permet d’intégrer de nombreuses évolutions », avait expliqué Nexter, lors du salon EuroSatory.

Les travaux sur ce char de combat, qui vise avant tout l’exportation, se poursuivent. Selon le magazine European Security & Defence, ce projet a évolué [il s’appelle désormais « Enhanced Main Battle Tank » E-MBT] et il est question qu’un prototype, basé sur un nouveau concept, soit présenté lors de la prochaine édition d’EuroSatory, en 2022. A priori, la tourelle du Leclerc n’étant plus fabriquée en l’état, son développement exigerait un effort de recherche et développement [R&D].

Cependant, si l’EMBT vise l’exportation tout en offrant une transition vers le MGCS, KMW peut miser sur le Leopard 2A7, la dernière version du Leopard… Un point qu’a d’ailleurs soulevé Marc Chassillan, spécialiste reconnu français des blindés, dans le dernier numéro du magazine Raids.

« KMW n’est pas pressé de promouvoir l’EMBT puisque son principal concurrent n’est autre que le produit-maison, soit le Leopard 2A7 qu’il ne partage aucunement avec Nexter », a en effet écrit M. Chassillan, observant que certains voient, « non sans raison », le « grignotage à bas bruit » du groupe français. Et de craindre ainsi la « mort d’une histoire française des chars démarrée en 1915 alors que la BITD [base industrielle et technologique de défense] nationale dispose de toutes les technologies pour faire un char de A à Z. »

Aussi, M. Chassillan plaide pour le « char employable », un concept qu’il défend depuis maintenant plusieurs années. En clair, il s’agirait de faire simple, en privilégiant l’endurance et la robustesse et en ne cédant pas trop à la tentation d’ajouter de plus en plus de capacités à des chars qui s’alourdissent sans cesse, comme l’Abrams américain.

« Il semblerait en effet que le char Abrams M1A2SEPV3 dans sa configuration actuelle, soit déjà trop lourd pour pouvoir emprunter certains itinéraires routiers et ferroviaires mais aussi utiliser certains équipements comme les moyens de franchissement mais aussi les chars dépanneurs M88 Hercules », rappelle ainsi le blog spécialisé Blablachars.

Pour M. Chassillan, on peut toujours évoquer les apports de l’intelligence artificielle, du big data et du combat en réseau, il n’en restera toujours pas moins qu’un char « n’est rien sans pièces de haute mécanique comme des chenilles, une suspension, un canon et un groupe moto-propulseur » [GMP]. Ce qui est encore à la portée de BITD française.

« 100% français, construit avec des composants et des sous-ensemble disponibles dès aujourd’hui sur les ‘étagères’ des industriels, le char employable […] pourrait rouler dès 2022 si on appuyait sur le bouton au premier trimestre 2021 », estime Marc Chassillan, qui parle d’un engin de 45 tonnes, pas moins armés que ceux actuellement en service mais surtout plus mobile avec un rapport de 28,5 chevaux/tonne.

Dans le détail, ce char serait conçu autour d’un GMP fourni par Scania/Renk France [ex-Société d’Equipements Systèmes et Mécaniques] de 1.300 chevaux et de plusieurs composanrs empruntés au Leclerc. Quant à l’optronique, elle serait issue du programme SCORPION.

Il y aurait au moins trois avantages à lancer un tel projet. Un premier serait de maintenir les savoir-faire de l’industrie française. Puis cela permettrait d’avoir un char à proposer à l’exportation [et donc de concurrencer l’EMBT…], sachant que, pour certaines forces terrestres, la modernisation de leur arme blindée n’attendra pas 2035. Enfin, dans le cas d’une remontée en puissance rapide de l’armée de Terre française, une solution serait ainsi disponible rapidement, qui plus est à un coût maîtrisé. Ce serait, insisté Marc Chassillan, un « ‘Sherman’ pour créer de la masse, mais sans céder sur les performances. »

Photo : armée de Terre

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