Revue stratégique : Les armées françaises devront retrouver une « masse critique suffisante »

Comme annoncé, le ministère des Armées a publié, ce 21 janvier, une actualisation de la Revue stratégique qui, présentée en 2017, a servi de point d’appui à l’élaboration de la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25. Sans surprise, le document insiste sur le fait que les tendances et les menaces identifiées il y a un peu plus de trois ans se sont non seulement concrétisées mais aussi accentuées.

Ainsi, si la menace terroriste est persistante, malgré la défaite de l’État islamique [EI ou Daesh] au Levant, le texte explique que les organisations jihadistes poursuivent leur « stratégie d’enracinement local et de dissémination globale ». À cela vient s’ajouter la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Sur ce point, la Corée du Nord et l’Iran sont notamment cités.

Mais le plus inquiétant, sans doute, est le « durcissement de la compétition entre puissances », parfaitement assumé par la Russie et la Chine.

« La posture d’intimidation stratégique développée par la Russie repose à la fois sur une palette d’outils non militaires et sur le développement de capacités militaires sophistiquées. Pour sa part, la République populaire de Chine a doublé son budget de défense depuis 2012, se hissant au deuxième rang mondial, augmenté son arsenal nucléaire et démontré de nouvelles ambitions en matière de projection de puissance », note ainsi la Revue stratégique actualisée.

Mais cette tendance concerne aussi des puissances régionales, comme l’Iran et la Turquie, qui « exploitent toutes les opportunités pour imposer leurs intérêts, au prix d’un aventurisme militaire grandissant. »

Ces politiques de puissance s’accompagnent de stratégies « hybrides et multiformes », qui se déploient dans les champs de conflictualité, en particulier dans ceux qui se « se prêtent aux agressions ambiguës. »

« En combinant modes d’action militaires et non militaires, directs et indirects, légaux ou illégaux, ces stratégies sont conçues pour rester sous le seuil estimé de riposte ou de conflit ouvert. L’utilisation de groupes armés, le cyber, le spatial, la manipulation de l’information ou l’instrumentalisation du droit [Lawfare], par l’emploi extensif de sanctions extraterritoriales ou la promotion unilatérale de normes, sont autant de leviers de puissance possibles pour appuyer des manœuvres militaires d’intimidation et atteindre des objectifs stratégiques », lit-on dans le document.

Les États-Unis ont déjà intégré cette tendance étant donné leur stratégie de défense et de sécurité accorde la priorité à la rivalité avec la Russie et la Chine, qualifiées de « puissances révisionnistes. » L’une des conséquences est le délitement de l’architecture de sécurité, avec la fin de traités de désarmement, comme celui sur les armes nucléaires de portée intermédiaires [FNI].

Dans ce contexte, la Revue stratégique actualisée identifie deux risques majeurs : le possible déclassement stratégique, voire l’effacement, de l’Europe [et donc de la France].

« En l’absence de réponse adaptée de leur part, les Européens risquent de subir un véritable déclassement stratégique », redoute le document. Les conséquences économiques de la pandémie de covid-19 pourraient conduire les pays européens à réduire de nouveau fortement leur effort de défense, ce qui porterait un « coup fatal aux appareils militaires les plus fragiles comme à leur capacité d’action collective », estime-t-il. Cela étant, la plupart d’entre-eux ne va pas dans cette direction. Du moins, pour le moment.

Pour éloigner ce risque de déclassement, la Revue stratégique actualisée plaide pour davantage d’autonomie stratégique européenne, sans remettre en cause le rôle de l’Otan et, plus généralement, les liens avec les États-Unis.

« L’Europe est en effet à la croisée des chemins et doit impérativement s’organiser pour faire face à l’aggravation tous azimuts de son environnement de sécurité. [La France] réaffirme
régulièrement sa communauté de destin avec les Européens, mais n’est pas en mesure d’affronter seul tous les périls qui pèsent sur le continent, en dépit de ses atouts stratégiques », avance le document.

D’autant que le second risque identifié est celui d’un « conflit majeur » susceptible de concerner la France et ses partenaires européens. La LPM 2019-25 a permis de confirmer des orientations stratégiques anciennes [comme la dissuasion par exemple] comme nouvelles [cyber] et d’amorcer une remontée en puissance des forces armées françaises. Mais cette Revue stratégique actualisée estime que, à la lumière de la crise du covid-19, il faut accélérer dans certains domaines, comme dans celui de la « résilience-protection. »

À ce sujet, le document insiste sur les départements, régions et collectivités d’outre-Mer. « La crise sanitaire a montré la réalité de la continuité stratégique entre la métropole et nos territoires ultramarins et le besoin de réassurance face aux prédations et à la manipulation d’informations. Les forces de présence et de souveraineté, dimensionnées au plus juste au regard
de nos intérêts, pourraient être reconfigurées, afin de pouvoir accueillir dans la durée et sous faible préavis, des détachements déployés en renfort depuis la métropole », est-il souligné dans le texte.

« Une posture globale crédible devrait également mobiliser, outre l’ensemble des services et moyens de l’État, la coopération de partenaires occidentaux ou régionaux, disposant eux-mêmes de moyens ou de points d’appui », précise encore ce dernier.

Mais s’agissant de l’hypothèse d’un affrontement direct entre grandes puissances, qui « ne peut plus être ignorée », la Revue stratégique actualisée estime que « d’ici 2030 et au-delà, les « tensions actuelles et les ruptures possibles nous imposent donc de nous préparer à des scenarii ‘d’engagement dans un conflit majeur’ et de poursuivre la remontée en puissance de nos capacités comme l’adaptation de notre posture générale. »

Dans ce contexte, la priorité doit aller vers un « objectif de souveraineté maîtrisée » dans les domaines critiques, comme la dissuasion, le renseignement, l’accès à l’espace, la projection de puissance ou encore la capacité d’entrée en premier.

« Notre liberté d’action nécessite ainsi d’assurer la crédibilité et le renouvellement des moyens de la dissuasion, et de garantir une autonomie d’appréciation et de décision s’appuyant sur des capacités de renseignement et de commandement nationales à la résilience garantie », insiste la Revue stratégique actualitée.

Et d’ajouter : « Partout où cela est possible, il nous faut conserver une capacité d’intervention nationale, couvrant le spectre d’intervention le plus large possible, du contre-terrorisme au conflit ouvert de haute intensité en passant par la réponse aux attaques hybrides. »

Ce qui suppose un modèle d’armée complet, qui « permettra également d’entraîner plus facilement nos partenaires européens. »

En termes capacitaires, l’actualisation de la LPM 2019-25 devrait a priori mettre l’accent sur le renforcement de la protection des forces [notamment dans les domaines NRBC, des défenses aériennes, anti-missiles et anti-drones], l’amélioration des systèmes de communication et d’information, la capacité à opérer dans des environnements techologiques « numérisés et dégradés ».

Mais ce modèle d’armée « complet » devra dans le même temps prendre du volume. « Les armées françaises devront également retrouver progressivement une masse critique suffisante, en effectifs et en équipements pour, à la fois, imposer des rapports de force favorables, durer en compensant une attrition potentiellement élevée et s’engager sur plusieurs théâtres », recommande la Revue stratégique actualisée.

Il leur fraudra en effet « prendre de la masse » car poursuivre la diversification de leurs capacités offensives, en particulier pour percer les dispositifs de déni d’accès et d’interdiction de zone [A2/AD] suppose un « changement d’échelle » ainsi qu’une « capacité à conduire des opérations au niveau de la division voire du corps d’armée [et leurs équivalents aérien et naval]. »

Pour rappel, un corps d’armée réunit plusieurs divisions. Durant la Guerre Froide, l’armée de Terre en comptait trois. Ce niveau a disparu de son ordre de bataille à la fin des années 1990, comme d’ailleurs le niveau divisionnaire… qui est réapparu en 2016, à la faveur du modèle « Au contact » [avec les 1ere et 3e Divisions, ndlr].

Pour que les armées françaises soient en capacité de conduire ce « changement d’échelle » qu’elle préconise, la Revue stratégique actualisée évoque le recours à « interopérabilité avec nos partenaires et alliés » ainsi qu’à une « réserve renforcée. » Mais elle ne donne pas d’objectifs chiffrés.

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