Les incursions aériennes chinoises dans les environs de Taïwan ont atteint un niveau record en 2020

En août 2020, l’amiral James Winnefeld Jr, ex-numéro deux du chef d’état-major interarmées américain, et Michael Morell, qui fut directeur par intérim de la CIA sous l’ère Obama, élaborèrent un scénario pour décrire la façon dont Taïwan pourrait passer sous le contrôle de la République populaire de Chine [RPC] au début de cette nouvelle année. Mais pour cela, ils avaient posé deux conditions préalables : une Europe encore aux prises avec la pandémie de covid-19 et les résultats contestés de l’élection présidentielle américaine.

Avec l’apparition d’un nouveau variant du SARS-COV-2, le coronavirus à l’origine de la covid-19 et malgré la mise au point de vaccins, les pays européens, pour la plupart, ont prolongé les restrictions sanitaires de plusieurs semaines, quand ils ne les ont pas renforcées, comme vient de le faire le Royaume-Uni, qui a décrété un nouveau confinement général devant la hausse des contamination.

Aux États-Unis, l’épidémie n’est pas encore maîtrisée… Et le résultat de l’élection présidentielle est… contesté par le président Trump, lequel n’a pas encore manifesté l’intention de reconnaître sa défaite. Et onze sénateurs républicains ont fait connaître leur intention de ne pas certifier la victoire de Joe Biden, le candidat démocrate. « Les allégations de fraude et d’irrégularités dans l’élection de 2020 dépassent toutes celles que nous avons connues dans notre vie », ont-ils justifié.

En outre, ce 6 janvier, le vice-président en exercice, Mike Pence, aura à officialiser le vote des grands électeurs… Mais M. Trump lui a demandé de s’opposer à la certification des résultats. Il « a le pouvoir de rejeter des grands électeurs choisis de manière frauduleuse », a-t-il assuré.

Si la première condition est remplie, la seconde n’est donc pas loin de l’être. Pour autant, doit-on s’inquiéter à Taïwan? Selon le scénario des deux ex-responsables américains, Pékin pourrait adresser un ultimatim à Taipei exigeant une capitulation immédiate pour éviter une guerre. Dans le même temps, les forces spéciales chinoises s’empareraient des points stratégiques de l’île tandis que l’Armée populaire de libération [APL] imposerait un blocus naval et aérien. Isolées diplomatiquement et ne pouvant pas compter sur un appui extérieur, les autorités taïwanaises céderaient au bout de trois jours.

Certes, il ne s’agit que d’un scénario… Et rien ne se passe jamais comme on l’a imaginé. En attendant, il est manifeste que, en 2020, et malgré l’épidémie de covid-19 pourtant partie de Wuhan, la Chine a accru significativement sa pressions militaire sur Taïwan, considérée comme une province rebelle à Pékin.

En septembre dernier, Taipei avait déjà avancé que l’activité de ses forces aériennes avait bondi de 129% en 2020 en raison des intrusions répétées et régulières d’avions militaires chinois dans la zone d’idenfication et de défense aérienne [ADIZ] de l’île. Le ministre taïwanais de la Défense, Yen De-fa, avait même évalué à 886,49 millions de dollars le coût total des décollages sur alerte pour intercepter les appareils de l’APL.

Aussi, le chiffre avancé le 4 janvier par les services de ce dernier ne sont guère surprenant. Ainsi, entre janvier et novembre 2020, la défense taïwanaise a constaté 380 incursions chinoises dans l’ADIZ de Taïwan. Un « record » selon Taipei.

Du moins, une telle activité n’avait plus été vue depuis la crise du détroit de Taïwan, en 1995-96. À l’époque, Pékin avait effectué deux séries de tirs de missiles : l’une pour s’opposer à la politique de Lee Teng-hui, alors président de Taïwan, l’autre pour intimider les électeurs taïwanais à l’approche de l’élection présidentielle de 1996. L’APL avait en outre mené des manoeuvres navales, ce qui, en retour, décida les États-Unis à déployer dans la région deux groupes aéronavals, formés autour des porte-avions USS Independence et USS Nimitz. Et les choses en restèrent là.

Dans le détail, et si des avions militaires chinois ont franchi la ligne médiane du détroit de Formose, qui marque la frontière entre la Chine et Taïwan, les intrusions chinoises se sont produites essentiellement dans le sud-ouest de l’ADIZ taïwanaise. Et ce serait une tendance « qui n’a pas été observée dans le passé », souligne le quotidien Taipei Times.

L’Institut pour la défense nationale et la recherche sur la sécurité qui, affilié au ministère taïwanais de la Défense, a compilé ces données, avance plusieurs raisons pour expliquer cette hausse importante de l’activité militaire chinoise.

La première, évidente, est qu’il s’agirait pour l’APL de tester les capacités de réaction des forces taïwanaises, voire de les intimider. Une seconde, qui ne s’oppose pas à la première, ni d’ailleurs aux autres, serait que de telles actions visent à élargir la sphère d’influence de la Chine. Une autre serait que Pékin lorgnerait sur les îles Pratas, en mer de Chine méridionale.

Enfin, il n’est pas exclu que, étant donné le nombre d’intrusions impliquant des avions de patrouille maritime, l’objectif ait été de collecter des informations sur les mouvements de navires et de sous-marins dans la zone. « L’APL espère également dissuader les activités sous-marines taïwanaises et américaines dans la région », a estimé l’institut.

L’activité des avions chinois dans cette zone vise « à la réponse militaire, exercer une pression sur notre défense aérienne et réduire l’espace aérien nécessaire à nos activités », a résumé le général Shih Shun-wen, porte-parole du ministère taïwanais de la Défense.

Il est clair qu’en augmentant sa pression sur les forces taïwanaises, l’APL amenuise le potentiel de ces dernières, qui alignent une centaine de F-16, 52 Mirage 2000 et 128 F-CK-1 Ching-Kuo, un avion de combat développé localement.

Quoi qu’il en soit, 2021 est partie sur les mêmes bases que l’année précédente : la défense taïwanaise a déja fait état de quatre incursions d’avions de renseignement chinois dans son ADIZ entre les 2 et 5 janvier.

Photo : Y-8 EW © Ministère taïwanais de la Défense

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