Une opération d’influence « anti-infox » attribuée aux armées françaises a été supprimée par Facebook

En juillet, le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA] avait confié au quotidien Le Monde qu’une doctrine concernant la « Lutte informationnelle dans le cyberespace » était en cours d’élaboration entre la Direction du renseignement militaire [DRM], le centre des actions sur l’environnement de Lyon et le commandement cyber [COMCYBER].

En clair, il s’agissait de faire évoluer les opérations militaires d’influence [OMI], conceptualisées dans le DIA-3.10.1 de mars 2008 par le Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations [CICDE].

« Dans un monde globalisé où l’information est un moyen d’action privilégié de toute gestion de crise, la crédibilité des forces s’acquiert et se maintient aussi grâce à leur aptitude à agir au plus tôt, au bon niveau, dans un vaste domaine psychologique, tout en interdisant, sinon limitant cette possibilité à l’adversaire. Le champ de l’information et de ses effets est aujourd’hui devenu un espace de combat », soulignait déjà ce texte.

Au moment de la rédaction de ce document, les réseaux sociaux n’avaient pas encore pris la place qu’ils ont aujourd’hui. Ce qui fait que, désormais, les campagnes de propagande visant à saper la crédibilité et la légitimité des forces françaises sur un théâtre extérieur sont plus difficiles à contrer, d’autant que ces dernières deviennent rapidement virales.

Ainsi, par exemple, au Sahel, la force Barkhane est régulièrement confrontée à de telles campagnes de déstabilisation et de dénigrement, avec la diffusion régulière de fausses informations. Le fait qu’elles soient démenties par les canaux officiels ne change souvent rien à l’affaire.

Et certaines ont la vie dure, comme l’a récemment souligné RFI en revenant sur l’infox sur le trafic d’or au Mali par l’armée française, « déjà maintes fois publiée et démontée, et qui continue de circuler sur les réseaux sociaux en provoquant des réactions de haine à l’égard de la France » et qui repose sur un « mensonge d’autant plus flagrant qu’il se répète à l’identique, avec les mêmes images, à plus d’un an d’intervalle. »

Le Sahel n’est pas la seule région concernée : la Centrafrique est également visée par de telles campagnes d’influence, menée avec l’intention de dénigrer l’action de la France dans ce pays tout en faisant les louanges de la coopération avec Moscou. En octobre 2019, Facebook avait indiqué avoir supprimé trois réseaux de faux comptes impliqués dans de tels pratiques et pilotés depuis la Russie. Seulement, de tels réseaux ne tardent pas à se reconstruire… ce qui a, a priori, conduit l’état-major français à lancer une campagne de contre-influence.

Seulement, le 15 décembre, Facebook a mis tout le monde dos à dos, en annonçant la fermeture de trois réseaux de faux comptes, dont deux étaient gérés depuis la Russie et un depuis la France. Cela étant, le rapport du Stanfort Internet Observatory et Graphika [.pdf] publié à cette occasion souligne que les motivations des Russes et des Français n’étaient pas les mêmes.

Les deux réseaux russes, liés à l’oligarque Evgueni Prigojine, actionnaire de la société militaire privée [SMP] Wagner et fondateur de « l’Internet Research Agency » [autrement appelée « l’usine à trolls »], ciblaient la Libye pour l’un et la Centrafrique pour l’autre.

Le réseau visant la République centrafricaine comptait 63 comptes, 29 pages et 7 groupes Facebook, ainsi qu’un compte Instagram. Il aurait eu une audence de 29.000 personnes et dépensé environ 38.000 dollars en publicités. Sa raison d’être était de dénigrer les actions de la France et de chercher à influencer le processus électroral dans le pays, en soutenant le président Faustin-Archange Touadéra.

Mais ses publications ont été « trollées » par le réseau d’influence qui, selon Facebook, serait lié aux armées française. D’après l’étude du Stanford Internet Observatory et de Graphika, ce dernier s’est concentré « presque exclusivement » sur « l’ingérence et les trolls russes » et « n’a pas publié systématiquement de messages sur la politique locale et a évité de commenter l’élection à venir ». S’agissant du Sahel, et en particulier au Mali, il a « principalement diffusé des informations sur la situation sécuritaire, louant les forces armées maliennes et françaises et s’attaquant aux groupes jihadistes qu’elles combattent ».

Par ailleurs, le réseau français aurait recours à l’intelligence artificielle pour créer de faux profils.

« Les personnes à l’origine de cette activité ont utilisé de faux comptes – dont certains avaient déjà été détectés et désactivés par nos systèmes automatisés – pour publier du contenu, commenter et gérer des pages et des groupes, tout en se faisant passer pour des locaux dans les pays qu’ils ciblaient. Elles ont posté, en français et en arabe, des informations sur la politique de la France en Afrique francophone et la situation sécuritaire dans divers pays africains ainsi que des allégations d’ingérence potentielle de la Russie dans les élections en République centrafricaine. Elles ont aussi posté des commentaires favorables sur l’armée française », explique Facebook.

Contrairement aux réseaux d’influence russe, celui animé depuis la France n’a pas dépensé un euro en publicité. Il reposait sur 84 comptes, 6 pages et 9 groupes Facebook ainsi que 14 profils Instagram. Et il comptait environ 5.000 abonnés.

Dans son communiqué, Facebook ne porte pas de jugement sur le bien fondé ou pas des ces opérations d’influence. Il souligne seulement que ces trois réseaux supprimés ont enfreint sa politique qui interdit « un comportement inauthentique coordonné au nom d’un gouvernement étranger. »

Pour l’Internet Research Agency et Graphika, l’opération française était « en partie, une réaction directe » aux campagnes de désinformation menées par les Russes – et inspirées par Evgueni Prigojine en particulier – en 2019. Mais « en créant de faux comptes et de fausses pages ‘anti-fake news’ pour lutter contre les trolls, les opérateurs français ont perpétué et justifié implicitement le comportement problématique qu’ils tentaient de combattre », estiment-ils.

Et cela, poursuivent-ils, est regrettable pour deux raisons. D’abord, ce procédé releve d’une « stratégie à haut risque susceptible de se retourner » contre ses initiateurs quand une opération secrète est détectée. Et, « plus important encore, la prolifération de faux comptes et de preuves manipulées ne fera qu’aggraver les soupçons du public à l’égard des discussions en ligne, accroître la polarisation et réduire la portée d’un consensus fondé sur des preuves », concluent-ils.

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