Méditerranée orientale : L’Union européenne prend des sanctions a minima contre la Turquie

À l’occasion d’un Conseil européen organisé à Bruxelles ces 10 et 11 décembre, les chefs d’État et de gouvernement des 27 États membres de l’Union européenne [UE] devaient évoquer d’éventuelles sanctions contre la Turquie pour ses activités jugées illégales en Méditerranée orientale, consistant à envoyer des navires de recherche dans des eaux revendiquées par la Grèce et la République de Chypre pour tenter d’y trouver de gisements d’hydrocarbures.

L’UE avait déjà sanctionné Ankara pour cette raison en 2019. Mais, comme l’ont montré les tensions de l’été dernier, les mesures alors prises, comme le gel des avoirs et l’interdiction de territoire contre deux responsables de la Turkish Petroleum Corporation, ont eu autant d’effet qu’un emplâtre sur une jambe de bois… Depuis, les responsables de l’exécutif européen ont alterné les menaces de nouvelles sanctions et les appels au dialogue.

« Nous avons tendu la main à la Turquie en octobre. Depuis, les choses n’ont pas été très positives. Nous avons vu qu’il y a eu des actes unilatéraux et une rhétorique hostile. Nous aurons un débat lors du sommet européen le 10 décembre et nous sommes prêts à utiliser les moyens dont nous disposons lorsque nous constatons qu’il n’y a pas d’évolution positive », avait ainsi affirmé Charles Michel, le président du Conseil européen, la semaine passée.

De son côté, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, ne s’est pas montré particulièrement inquiet devant la perspectives de nouvelles sanctions européennes à l’égard de son pays. « Une quelconque décision de sanctions de l’UE n’est pas un grand souci pour la Turquie », a-t-il en effet déclaré, lors d’une conférence de presse donnée avant une visite officielle en Azerbaïdjan, le 8 décembre. « L’UE applique de toute façon depuis toujours des sanctions contre la Turquie. Elle n’a jamais été honnête envers nous, n’a jamais tenu ses promesses », a-t-il ajouté.

Le président turc pouvait être serein… car pour que l’UE prenne des sanctions, il faut l’unanimité de ses 27 États membres. Or, certains, comme l’Allemagne, n’ont pas montré un très grand entrain pour sanctionner la Turquie.

Cela étant, les 27 ont fini par s’accorder, comme souvent, sur le plus petit dénominateur commun… en décidant des « sanctions individuelles », selon un diplomate cité par l’AFP. Une liste de noms va être établie d’ici les prochaines semaines, puis être soumise à l’approbation des États membres. On est donc loin des sanctions économiques, voire de l’embargo sur les armes, que réclamait la Grèce.

Selon les conclusions du Conseil, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, aura à faire un rapport « au plus tard en mars 2021 » pour faire le point sur l’évolution de la situation et éventuellement proposer d’élargir les sanctions à de nouveaux noms ou à de nouvelles entreprises.

En clair, comme dans le sketch de Coluche, « au bout de 30 avertissements, on peut avoir un blâme! Et au bout de 30 blâmes, on passe devant un conseil de discipline. »

« Le Conseil européen a adopté des sanctions, face aux ‘actions unilatérales et provocations’ de la Turquie », s’est toutefois félicité Clément Beaune, le secrétaire d’État français aux Affaires européennes. « L’idée est de serrer la vis progressivement », a-t-il ajouté.

Si M. Erdogan ne s’inquiéte pas des sanctions européennes, il pourrait en aller tout autrement avec celles que prépare l’administration Trump pour l’achat de système russe de défense aérienne S-400 par la Turquie. Selon l’agence Reuters, qui cite trois responsables américains, Washington s’apprête à sanctionner l’industrie turque de l’armement.

En outre, le Congrès met la pression avec le projet de loi de financement du Pentagone [National Defense Authorization Act – NDAA], lequel prévoit d’obliger l’administration Trump à appliquer, d’ici 30 jours, la loi CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act], laquelle impose des sanctions contre les entités ayant des liens commerciaux avec l’industrie russe de l’armement.

Reste que le ton de l’administration Trump à l’égard de la Turquie s’est durci depuis plusieurs mois. La semaine passée, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a ainsi reproché à Ankara, en des termes vifs, les « manquements » au règles de l’Alliance et la « politique du fait accompli » dans plusieurs crises régionales. « Nous sommes préoccupés par certains comportements turcs… L’idée que vous pourriez placer un système de défense antimissile de fabrication russe au milieu de notre alliance est interdite », avait auparavant souligné Kay Bailey Hutchison, la représentante américaine auprès de l’Otan.

Pour rappel, en 2019, Washington avait déjà exclu Ankara du programme F-35 pour cet achat de systèmes russes S-400.

Face à la perspective de nouvelles sanctions américaines, un responsable turc a fait valoir auprès de Reuters que de telles mesures « seraient contre-productives » et qu’elles « se retourneraient » contre les États-Unis. « La Turquie est favorable à la résolution de ces problèmes par la diplomatie et les négociations. Nous n’accepterons pas les décisions imposées unilatéralement », a-t-il ajouté.

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