Le ministère des Armées fixe le cadre des recherches sur le « soldat augmenté »

Le concept de soldat augmenté consiste à avoir recours à des substances et à des technologies diverses pour accroître les capacités physiques et cognitives du combattant, voire à aider ce dernier à surmonter son stress. Il n’est pas foncièrement nouveau : depuis que les hommes se font la guerre, ils ont pratiquement toujours cherché de tels expédients. Le plus évident était l’alcool, dont la consommation était un moyen de se donner du courage. Pas question pour les hoplites grecs de partir au combat sans voir bu de généreuses rasades de vin! Les Aztèques n’étaient pas en reste, mais avec du pulque, une boisson à base d’agave et d’épices [*].

Puis, le progrès scientifique aidant, on est passé à d’autres substances, comme la benzédrine ou la pervitine, pour évacuer tout sentiment de peur et accroître l’agressivité… De tels produits ont d’ailleurs été abondamment consommés durant la Seconde Guerre Mondiale. D’ailleurs, ce dopage n’est pas sans risque d’effets secondaires pour ceux qui s’y livrent.

Mais on n’en est plus là de nos jours. Par exemple, pour améliorer les capacités cognitives du combattant, on parle de stimulation électrique transcrânienne [tDCS]. Il est aussi question d’implants neurologiques, comme le projet américain NESD [Neural Engineering System Design], qui vise à implanter une interface neuronale pour tranférer des données entre le cerveau et un système numérique. Ou encore d’opérations chirurgicales pour, par exemple, accroître l’acuité visuelle, et de manipulations génétiques.

Cela étant, il existe d’autres moyens, non « invasifs » et donc beaucoup moins dangereux et plus éthique, pour accroître les capacités du combattant. Tel est le cas des jumelles de vision nocture [JVN] ou encore de l’exosquelette, qui permet de manier de lourdes charges sans effort [un plus indéniable pour les artilleurs!] et le casque RAFT [Réalité augmentée pour le fantassin] qui vise à interconnecter les combattants tout en favorisant la prise de décision.

De telles évolutions ont été anticipées par de nombreux auteurs de [science] fiction. Les « super héros » de Marvel et DC Comics sont, en quelque sorte, des « soldats augmentés », grâce aux modifications génétiques qu’ils ont subies [Spiderman, Deadpool] ou aux équipements dont ils sont affublés [Iron Man]. En France, la série « Les Sentinelles  » s’intéresse à ce phénomène avec « Taillefer », un scientifique [antimilitariste] devenu un « super soldat » grâce à des membres greffés et une pile au radium.

Quoi qu’il en soit, pour la ministre des Armées, Florence Parly, qui a abordé le sujet lors du Forum Innovation Défense après reçu le rapport du comité d’éthique présidé par Bernard Pêcheur, la France n’a pas l’intention de refuser le concept de « soldat augmenté », qui « existe depuis longtemps. »

« Mais aujourd’hui, ces augmentations deviennent aujourd’hui de plus en plus sophistiquées et ne se limitent plus à l’équipement : désormais c’est la barrière corporelle de l’homme qui pourrait être franchie pour accroître ses capacités physiques, cognitives ou psychologiques », a relevé Mme Parly. Et de telles pratiques n’auront pas droit de cité aux sein des armées françaises.

« Permettez-moi à ce stade de mettre fin à tout fantasme : ces évolutions dites ‘invasives’ ne sont pas à l’agenda des armées françaises », a en effet lancé la ministre. « Nous disons oui à l’armure d’Iron Man et non à l’augmentation et à la mutation génétique de Spiderman », a-t-elle insisté. En clair, il ne sera pas question d’implants neurologiques… mais d’implanter des puces électroniques dans l’uniforme.

Pour autant, d’autres puissances auront sans doute moins de scrupules… C’est un « futur auquel il nous faut nous préparer », a estimé Mme Parly. Et pour cela, il faut trouver les solutions permettant de ne pas amoindrir les capacités opérationnelles tout en respectant un certain nombre de valeurs et d’engagements.

D’où la réflexion du comité d’éthique présidé par Bernard Pêcheur, qui a fixé des règles et des garde-fous. Pour autant, a-t-elle continué, l’avis qu’il vient de rendre « n’est pas gravé dans le marbre » et « sera régulièrement reconsidéré à l’aune des prochaines évolutions. »

En effet, pour Mme Parly, la réflexion ne doit pas empêcher d’agir. « Les travaux du comité d’éthique de défense ne doivent pas être un frein à la recherche et aux études des nouvelles technologies, au contraire. Ils permettent de poser un cadre, de définir nos limites et d’aborder sereinement ces enjeux, parallèlement à la prospective technologique qui se poursuit », a-t-elle affirmé.

D’ailleurs, le rapport ne dit pas autre chose étant donné, pour éviter tout risque de décrochage capacitaire, il estime qu’il ne faut pas inhiber les recherches sur le soldat augmenté, à la condition que les éventuels travaux portant sur des techniques « invasives » soient strictement contrôlés par le Service de santé des Armées [SSA] et que les innovations qu’ils proposent fassent l’objet d’une évaluation « risques/bénéfices », avec une attention particulière sur les effets secondaires possibles et le risque « cyber ».

« La norme est que toutes les augmentations doivent recueillir un consentement éclairé de la part de ceux qui en bénéficient. L’absence de consentement restera l’exception, et elle devra être justifiée. Par exemple, nous refusons de laisser sur un théâtre d’opérations un soldat qui aurait refusé la vaccination prescrite pour pouvoir y opérer », a ensuite expliqué la ministre.

Une autre règle, évidente, est que ces augmentations devront être « réversibles » car « un soldat pas soldat toute sa vie. Et il faut aussi anticiper le retour à la vie civile », a fait valoir Mme Parly, qui a aussi souligné la nécessité d’éviter de compromettre la santé et la sécurité des militaires.

[*] Lire : Les drogues et la guerre: de l’antiquité à nos jours – Lukasz Kamienski – Nouveau Monde Éditions

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