L’Allemagne va-t-elle persister à s’opposer à d’éventuelles sanctions européennes contre la Turquie?

En octobre, les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Union européenne ont une nouvelle fois dénoncé les agissements de la Turquie en Méditerranée orientale, où elle conteste des zones maritimes revendiquées par la Grèce et la République de Chypre [membres de l’UE, ndlr] en y déployant des navires de recherche sismique dans le but de trouver des gisements de gaz naturel.

Auparavant, il avait été demandé à Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, de préparer des « mesures adéquates afin de répondre aux défis posés par Ankara » [comprendre : des sanctions]. « Nous sommes déterminés à défendre les intérêts de l’Union européenne et exprimons notre solidarité à la Grèce et à Chypre. La Turquie doit renoncer à des actions unilatérales », avait-il affirmé, le 28 août.

Seulement, l’UE en resta au stade des menaces, tout en continuant à déplorer l’attitude de la Turquie, alors accusée de violer le droit international et de chercher à pratiquer la politique du fait accompli.

« Si Ankara poursuit ses actions illégales, nous utiliserons tous les instruments à notre disposition », avait alors averti Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, à l’issue du sommet début octobre, assurant que des sanctions économiques pourraient même être « utilisées immédiatement. »

Sauf que, pour que l’UE puisse décider de sanctions à l’égard d’un pays tiers, il faut qu’il y ait une unanimité entre ses 27 membres… Or, Berlin – mais pas seulement – est hostile à l’idée de sanctionner immédiatement Ankara. Et cela pour au moins trois raisons.

Étant donné qu’elle assure actuellement la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, l’Allemagne tiendrait à se ménager une position lui permettant de jouer les bons offices entre la Turquie d’un côté et la Grèce ainsi que la République de Chypre de l’autre. Ce qu’elle fit en août dernier, quand la tension entre Athènes et Ankara était à son paroxysme.

Les deux autres raisons ont été données à l’hebdomadaire Marianne par Günter Seufert, de l’Institut allemand de Politique Internationale et de Sécurité [SWP].  » Il est également vrai que l’Allemagne doit aussi tenir compte de facteurs qui touchent moins la France. Nous sommes le pays cible des réfugiés. Près de 3 à 4 millions de concitoyens d’origine turque vivent en Allemagne. Et enfin, nous avons de forts intérêts économiques dans le Bosphore puisqu’un certain nombre de nos chaînes d’approvisionnement industriel passent par la Turquie », a-t-il expliqué.

Quoi qu’il en soit, pour le président du Conseil européen, Charles Michel, l’heure n’est plus à la tergiversation, d’autant plus que qu’Ankara n’a pas changé son compotement d’un iota… et que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a multiplié les déclarations polémiques, en particulier à l’égard de la France et de son président, Emmanuel Macron.

« Macron est un fardeau pour la France. Macron et la France traversent actuellement une période très dangereuse. Mon espoir est que la France se débarrasse du problème Macron aussi vite que possible », a encore déclaré M. Erdogan, ce 4 décembre.

« Nous avons tendu la main à la Turquie en octobre. Depuis, les choses n’ont pas été très positives. Nous avons vu qu’il y a eu des actes unilatéraux et une rhétorique hostile. Nous aurons un débat lors du sommet européen le 10 décembre et nous sommes prêts à utiliser les moyens dont nous disposons lorsque nous constatons qu’il n’y a pas d’évolution positive », a en tout cas répondu M. Michel, cité par l’AFP.

« Je pense que le jeu du chat et de la souris doit cesser », a poursuivi l’ancien Premier ministre belge, qui a cependant évité de prononcer le mot « sanction ».

« Le régime de sanctions, c’est une question qui relève des États membres. Voyons ce que nous pouvons faire lors du prochain Conseil de l’UE. Je ne peux pas avancer le résultat de la discussion, je ne fais que la préparer et proposer des alternatives », a déclaré, de son côté, M. Borrell, alors qu’il participait à une réunion à Rome.

Reste voir ce que sera la position allemande lors du prochain Conseil de l’UE, qui se tiendra le 10 décembre. En tout cas, n’étant plus à la tête de ce dernier à compter du 1er janvier, elle ne pourra plus prétendre à vouloir jouer les bons offices.

En outre, le réquisitoire contre la Turquie auquel s’est livré Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, lors de sa dernière réunion de l’Otan, pourrait faire évoluer Berlin… De même que l’attitude d’Ankara après que la frégate allemande Hamburg a tenté de contrôler le cargo MV Roseline A suspecté de transporter des armes turques vers la Libye. La justice turque a même annoncé avoir ouvert une enquête sur cette affaire, accusant la Deutsche Marine [et plus largement l’opération navale européenne Irini] d’avoir agi en contravention avec le droit international.

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