Vive passe d’armes entre les États-Unis et la Turquie lors d’une réunion de l’Otan

Si elle a décidé d’exclure la Turquie du programme F-35 en raison de son achat de systèmes russes de défense aérienne S-400, l’admninistration Trump n’a toujours pris de sanctions contre l’économie turque, comme l’y invite pourtant la loi dite CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act], qui prévoit des mesures contre toute entité se procurant du matériel militaire auprès de la Russie. Cela étant, l’application de ce texte est à géométrie variable : Washington a ainsi sanctionné Pékin… mais pas New Delhi, intérêt stratégique oblige.

L’impératif stratégique pourrait expliquer cette réticence à décréter des sanctions contre la Turquie, pays membre de l’Otan dont la position géographique verrouille l’accès à la Méditerranée pour la marine militaire russe. C’est d’ailleurs celle qui est généralement avancée [et à laquelle s’accroche Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance, toujours prêts à arrondir les angles avec Ankara…].

Intervention en Libye et en Syrie, contre les milices kudes syriennes, alliées de la coalition dirigée par les États-Unis contre Daesh [État islamique, EI], soutien appuyé à l’Azerbaïdjan dans l’affaire du Haut-Karabakh avec l’envoi de mercenaires recrutés parmi les groupes armés syriens, recherche d’hydrocarbures dans des zones revendiquées par la Grèce et la République de Chypre, remise en cause du droit international, chantage aux migrants avec l’Union européenne… Les récentes actions d’Ankara ont suscité – et suscitent encore – des tensions au sein de l’Otan.

Et, depuis quelques mois, plusieurs éléments tendent à montrer que les États-Unis prennent leur distance avec la Turquie, où ils disposent pourtant d’une importante base militaire [celle d’Incirlik, ndlr], laquelle abrite par ailleurs un dépôts de bombes nucléaires tactiques B-61 dans le cadre de l’Otan. D’autant plus que les relations entre les deux pays ont connu quelques tensions depuis l’arrivée de M. Trump à la Maison Blanche.

En 2019, les États-Unis ont renforcé leurs relations militaires avec la Grèce… Et donnèrent le sentiment de chercher dans la patrie d’Homère une alternative à la base d’Incirlik, que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a d’ailleurs menacé de fermer à plusieurs reprises. La bonne entente entre Athènes et Washington a été réaffirmée en septembre dernier, en pleine tension en Méditerranée orientale. Puis, l’administration américaine a décidé de lever en grande partie l’embargo sur les armes qui avait été décidé à la fin des années 1980 contre la République de Chypre. Une mesure qui a évidemment été mal accueillie à Ankara.

Et puis, plus récemment, l’ambassadeur des États-Unis en Grèce, Geoffrey R. Pyatt, a publié un communiqué suggérant que Washington a clairement choisi son camp dans la brouille qui oppose Athènes et Ankara.

Ainsi, le diplomate a souligné que la relation avec la Grèce dans le domaine militaire est « l’une des plus solides qu’ont les États-Unis en Europe. » Et d’ajouter : « Nous sommes très fiers de notre partenariat de défense et de sécurité avec la Grèce et travaillons quotidiennement pour le faire progressern afin qu’il soit encore plus fort, notamment grâce à l’acquisition future du F-35 » par Athènes. Un achat qui, selon lui, « garantirait l’interopérabilité avec les forces armées américaines et améliorerait la stabilité régionale ». Nul doute que ce dernier point a dû faire tousser à Ankara…

Quoi qu’il en soit, à l’occasion d’une réunion par vidéoconférence des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Otan, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a vivement critiqué la Turquie. Il a été « très cash » a confié un des participants à l’AFP. « Son intervention a été très courte, mais très claire », a témoigné un autre.

En effet, pour sa dernière réunion à l’Otan, le responsable américain a donné le sentiment que les États-Unis ont « lâché » la Turquie, dont il a dénoncé les « manquements » au règles de l’Alliance et sa « politique du fait accompli » dans plusieurs crises régionales.

En outre, M. Pompeo, qui s’est récemment rendu à Istanbul sans rencontrer les responsables turcs, a également critiqué le « cadeau » fait par Ankara à la Moscou, avec l’achat de systèmes S-400 « non inter-opérables » avec ceux de l’Otan et déploré la « prise en otage » des plans de défense et des partenariats envisagés par les Alliés, y voyant là une attiude qui « affaiblit la cohésion de l’Alliance. »

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a dû boire du petit lait, d’autant plus que les relations franco-turques sont actuellement très fraîches… Selon Politico, il a en effet également dénoncé le comportement d’Ankara, estimant que la « cohésion au sein de l’alliance serait impossible à réaliser si la Turquie imitait l’interventionnisme agressif de la Russie. »

D’autres participants à cette réunion ont pris la suite de M. Pompeo, comme si ce dernier les avait déshinibés, raconte l’AFP. Même le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères y est allé de son couplet, regrettant qu’un « État allié, la Turquie, ait été directement impliqué dans le conflit du Nagorny Karabakh en facilitant l’implication de mercenaires en Syrie. »

« À la fin de la réunion, il était clair que la Turquie était pratiquement isolée parmi les 30 membres de l’Alliance. Un appel renouvelé de Çavuşoğlu [le chef de la diplomatie turque, ndlr] pour que l’Otan joue un rôle dans la guerre civile en Libye a été rejeté par les autres alliés, qui ont accusé la Turquie d’exacerber le conflit en envoyant des armes et des mercenaires pour soutenir le gouvernement d’accord national basé à Tripoli », écrit Politico.

Le ministre turc n’est pas resté sans répondre. Ainsi, il a accusé M. Pompeo d’avoir contacté ses homologues européens pour les « exhorter à se liguer contre la Turquie et à se ranger aveuglément aux côtés de la Grèce. » Et d’accuser, encore une fois, Washington d’avoir refusé de vendre des systèmes de défense aérienne Patriot aux forces turques et de soutenir les « organisations terroristes kurdes en Syrie ».

En tout cas, au sein de l’Otan, le ton à l’égard de la Turquie a changé… Et le président Macron a sans doute pu le mesurer lors de la conversation téléphonique qu’il a eue avec M. Stoltenberg à l’issue de cette réunion.

« Cet échange a été également l’occasion d’aborder, directement et en confiance avec le Secrétaire Général, les préoccupations exprimées par un nombre croissant d’alliés sur les choix stratégiques faits par la Turquie, qui nécessitent une clarification par une discussion franche au sein de l’Alliance dans le nouveau contexte transatlantique », a fait savoir un communiqué de l’Élysée.

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