Le président Macron accuse la Russie et la Turquie d’inspirer des discours anti-français au Sahel

Publié en septembre 2018 par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire [IRSEM] et le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie [CAPS] du ministère des Affaires étrangères, le volumineux rapport sur les « manipulations de l’information » avait prévenu : l’Afrique risquait de devenir le prochain terrain d’une guerre informationnelle menée contre les forces et les intérêts français.

Et cela s’est démontré depuis, comme en Centrafrique, où l’action de la France a commencé à être dénigrée quand la Russie a manifesté son intérêt pour ce pays. Ou, plus récemment, au Mali, où la force Barkhane a été la cible de plusieurs campagnes de désinformation via, entre autres, les réseaux sociaux, avec l’objectif manifeste de saper sa crédibilité. Cela a d’ailleurs conduit l’État-major des armées [EMA] à se doter d’une « doctrine de lutte informationnelle » dans le cyberespace.

Mais les réseaux sociaux ne sont pas les seuls vecteurs de ces « infox » [fausses informations]. Des responsables locaux, qu’ils soient dans l’opposition ou au pouvoir [ce qui est plus embarrassant] s’en font parfois l’écho, comme l’ex-ambassadeur du Mali en France qui, lors d’une audition au Sénat, avait colporté des accusations mensongères sur le comportement des légionnaires français.

D’ailleurs, en janvier, lors du sommet de Pau ayant réuni les membres du G5 Sahel [Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Tchad, Niger], le président Macron fit une mise au point face à l’inflation des discours anti-français au Sahel.

« J’entends beaucoup de choses sur les réseaux, dans les déclarations. J’entends beaucoup de gens qui disent tout et n’importe quoi. Demandez-vous par qui ils sont payés et quels intérêts ils servent », s’était emporté M. Macron. « Mais que ces gens-là disent qui se fait tuer pour leurs enfants! Moi, je sais qui est tombé pour la sécurité des Maliennes et des Maliens, des Nigériens, des Burkinabè : des soldats français! », s’était-il exclamé.

Et d’insister : Ces discours sont « indignes parce qu’ils servent d’autres intérêts, soit ceux des groupements terroristes […], soit ceux d’autres puissances étrangères qui veulent simplement voir les Européens plus loin, parce qu’elles ont leur propre agenda, un agenda de mercenaires. » Pour autant, le président français s’était gardé de désigner ces « puissances étrangères » à l’origine de ces campagnes de dénigrement, même si l’on pouvait nourrir quelques soupçons.

Mais c’est désormais chose faite. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique, ce 20 novembre, Emmanuel Macron n’a pas pris de gants.

« Pendant des décennies, nous avons entretenu avec l’Afrique une relation très institutionnelle, en passant par les chefs d’État en fonction et par des entreprises bien installées. Ce faisant, le ressentiment a pris une certaine place », a commencé par expliquer le président français.

« Mais il y a également une stratégie à l’œuvre, menée parfois par des dirigeants africains, mais surtout par des puissances étrangères, comme la Russie ou la Turquie, qui jouent sur le ressentiment post-colonial », a ensuite lâché M. Macron. « Il ne faut pas être naïf sur ce sujet : beaucoup de ceux qui donnent de la voix, qui font des vidéos, qui sont présents dans les médias francophones sont stipendiés par la Russie ou la Turquie », a-t-il insisté.

Toujours sur ce point, et alors qu’il s’apprête « à prendre des décisions pour faire évoluer Barkhane » dans les prochains mois, le président Macron a dit avoir « besoin d’une réitération claire du souhait de nos partenaires de voir la France rester à leurs côtés. »

Si la Russie dispose de relais au Mali [les deux pays ont signé un accord de coopération militaire en 2019, ndlr], il en va de même pour la Turquie. En septembre, lors d’un déplacement à Bamako, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a assuré qu’Ankara se tiendrait toujours « aux côtés du peuple malien pour rétablir l’ordre constitutionnel » tout en lui apportant son soutien « dans la lutte contre le terrorisme et la pandémie de coronavirus. »

Par ailleurs, Ankara peut avoir l’oreille de quelques personnages influents, comme l’imam Dicko, a priori proche de la fondation turque Maarif. Ce dernier, qui a joué un rôle important dans le coup d’État ayant renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, cet été, est un partisan du dialogue avec certains jihadistes maliens, c’est à dire ceux du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM/JNIM]. Or, pour le président Macron, cela n’est pas acceptable.

« Avec les terroristes, on ne discute pas. On combat », a-t-il lancé lors de son entretien accordé à Jeune Afrique. « Il faut s’inscrire dans la feuille de route claire que sont les accords [de paix] d’Alger [signés en 2015 entre la rébellion touareg et Bamako, ndlr] », a-t-il poursuivi. « Ceux-ci prévoient un dialogue avec différents groupes politiques et autonomistes. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut dialoguer avec des groupes terroristes, qui continuent à tuer des civils et des soldats, y compris nos soldats », a-t-il fait valoir.

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