Le « terme de stock est aujourd’hui presque un gros mot », déplore le chef d’état-major de l’armée de Terre

Avoir des stocks de pièces de rechange et de munitions suppose des coûts d’acquisitions et des frais de possession [locaux, personnel dédié, entretien, sécurité, etc] pouvant être plus ou moins élevés en fonction de la nature des articles ainsi mis en réserve. Dans le monde civil, on évalue que le coût de possession d’un stock est en moyenne de 15 à 40% de sa valeur, ce qui a un impact direct sur le besoin en fonds de roulement [ndlr : (stock+créances clients) – (dettes fournisseurs+dettes fiscales et sociales)] d’une entreprise. Et encore, il ne s’agit que de coûts directs…

Évidemment, puisque posséder des stocks est coûteux, la tentation de s’en passer, ou, du moins, d’en avoir le moins possible à gérer, peut-être d’autant plus grande que la contrainte budgétaire est forte. Et cela, au nom de la recherche de « l’efficience »… terme qui ne rime pas forcément avec résilience, notamment pour les armées. Ces dernières années, l’accent a donc été mis sur le flux aux dépens du stock, étant entendu qu’il n’y aurait pas de raison à se faire des cheveux blancs pour la pérennité des chaînes d’approvisionnement.

Si des stocks trop importants pèsent sur la rentabilité d’une entreprise, le coût d’une rupture de stock peut aussi avoir des conséquences regrettables sur ses ventes et sur ses résultats. Et, pour les armées, cela se traduirait par l’incapacité à agir, faute d’avoir de suffisamment de munitions et de pièces détachées pour faire fonctionner leurs matériels. Et les difficultés d’approvisionnement en matériels sanitaires durant la premier acte de l’épidémie de covid-19 ont montré qu’une telle perspective ne pouvait pas être écartée. Ce qui inquiéte visiblement les parlementaires.

En effet, lors de l’audition du chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Thierry Burkhard, par la commission des Affaires étrangères et de la Défense, des sénateurs ont voulu savoir si les stocks de munitions ou de pièces détachées étaient suffisants pour faire face à une éventuelle crise majeure.

Le général Burkhard avait déjà abordé ce sujet il y a six mois, lors d’une audition à l’Assemblée nationale. L’occasion lui a donc été donnée d’enfoncer le clou.

« Comme tous les pays, la France a rencontré des difficultés d’approvisionnement en matériels sanitaires durant la crise COVID. Seule la loi de l’offre et de la demande nous a véritablement gênés. Cela n’a pas duré très longtemps. Soyons certains que si nous venions un jour à rencontrer des difficultés en raison d’un stock de munitions insuffisant, nos compétiteurs qui pourraient devenir nos ennemis feraient tout pour que nous ne puissions pas nous réapprovisionner », a d’abord rappelé le CEMAT.

Mais plus généralement, « le terme de ‘stock’ est aujourd’hui presque un gros mot », a-t-il déploré. Signe que la réflexion dans ce domaine n’avance pas vite… « Cela représente des munitions immobilisées et de l’argent hypothéqué en amont. C’est toutefois une forme d’assurance. Dans mon métier, je dois essayer d’anticiper les risques et les menaces pour éviter d’être surpris. J’estime donc que nous devons approfondir la question des stocks de munitions, mais également celle des pièces de rechange », a insisté le général Burkhard.

Quant à savoir si, s’agissant des munitions, disposer d’une production entièrement française serait la solution idéale, le CEMAT a botté en touche. « Est-ce que cela correspond au fonctionnement actuel du monde et des systèmes économiques, ou à notre vision d’une défense collective ? Je pense que nous devons trouver un équilibre entre l’achat de munitions en Extrême ou Moyen-Orient, et celui de munitions en Europe. Ce problème doit être bien étudié et notamment avec nos alliés », a-t-il dit.

En attendant, devant les députés, quelques jours plus tôt, le général Burkhard avait indiqué que « le stock [était] assez tendu » s’agissant « des roquettes à précision métrique » des hélicoptères d’attaque de l’ALAT.

Par ailleurs, le CEMAT a également abordé les « conséquences de décisions prises par le passé » au sujet du char Leclerc, et plus particulièrement des pièces détachées.

« Les choix qui se sont imposés à cette époque ont été pris compte tenu de la situation technique constatée sur le parc Leclerc et surtout compte tenu du contexte financier. Ces décisions passées risquent aujourd’hui de nous coûter assez cher, à hauteur de quelques centaines de millions d’euros », a indiqué le général Burkhard.

En effet, et comme l’a révélé un récent rapport parlementaire, faute d’avoir consenti un investissement de 4 millions d’euros en 2014 et d’avoir constitué un stock de turbomachines [mécanisme qui permet au Leclerc de faire rouler ses 59 tonnes à 70 km/h, ndlr], la modernisation des chars encore en service va être très coûteuse.

« Il a été estimé il y a une dizaine d’années que le stock de turbomachines disponibles nous permettrait de tenir jusqu’en 2040. Malheureusement, avec une durée de vie qui s’est révélée bien inférieure à nos prévisions, cette obsolescence lourde que l’on pensait maîtriser doit aujourd’hui être traitée. Bien évidemment, nous ne pouvons imaginer un trou capacitaire d’une vingtaine d’années. Dans des cas comme celui-ci, nous devons trouver des solutions, ce qui passe forcément par des dépenses supplémentaires », a expliqué le CEMAT.

Cela étant, avec le programme SCORPION, la gestion des pièces détachées devrait poser moins de problèmes. Pour rappel, en décembre 2018, à Fourchambault, Arquus a inauguré une plateforme logistique d’une superficie de 20.000 m2 et pouvant gérer, stocker et distribuer plus de 100.000 références directement sur les base de soutien en moins de 72 heures.

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