CEMAT : Face à « l’inconfort opérationnel », l’armée de Terre doit « changer d’échelle » pour ses entraînements

De nos jours, et comme l’avait d’ailleurs souligné la Revue stratégique de défense et de sécurité publiée en octobre 2017, le monde est devenu plus instable et dangereux sous l’effet de plusieurs tendances que la pandémie de covid-19 n’a fait qu’accentuer. Ainsi, le multilatéralisme recule, la compétition stratégique entre États s’affirme davantage, les tensions s’exacerbent, le recours à la force se désinhibe, l’intimidation s’impose face au droit international pour régler les litiges, la conflictualité s’étend à de nouveaux champs et la menace terroriste reste pregnante. Et pour corser le tout, des technologies dites « nivelantes » remettent en cause l’avantage militaire des pays occidentaux.

Dans la revue stratégique qu’il a publiée en juin, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Thierry Burkhard, s’est appuyé sur ce constat pour défendre notamment la nécessité de centrer la préparation opérationnelle de ses troupes sur un « engagement majeur », afin qu’elles soient « endurcie » et donc prêtes à faire face à toute éventualité.

Lors de son audition par les députés de la commission de la Défense, le CEMAT a particulièrement insisté sur ce point, affirmant que le défi qui se pose actuellement à l’armée de Terre consiste à « changer d’échelle » dans ses entraînements. « Face à des adversaires de plus en plus puissants, nous devons nous préparer à l’inconfort opérationnel », a-t-il plaidé.

« Face à l’augmentation quantitative et qualitative du niveau de menace que nous observons dans le monde, il convient à la fois d’être capables d’imposer sa volonté, mais aussi et d’abord d’être le plus dissuasif possible. Pour ce faire, nous devons poursuivre notre modernisation en profondeur, tant dans nos capacités que dans notre doctrine, pour surclasser nos adversaires », a d’abord fait valoir le général Burkhard.

Mais pour être dissuasive, l’armée de Terre doit « changer d’échelle » dans le volume des forces qu’elle doit être capable de déployer lors d’exercices et d’opérations, dans le niveau des unités engagées et dans les menaces à considérer. Ce qui passe donc par un effort accru en matière d’entraînement, selon l’adage « la sueur épargne le sang » [ou celui, plus parlant : « entraînement difficile, guerre facile »… du moins en théorie]

« Ce changement d’échelle dans nos entraînements est l’effort que je dois accomplir dans les mois et les années à venir. Modernisation et changement d’échelle dans nos entraînements, c’est ce que permet la LPM : elle doit être respectée », a souligné le CEMAT.

Pour changer de braquet en matière d’entraînement, il faut réunir plusieurs conditions. D’abord, il s’agit de disposer de suffisamment de temps pour que certains savoir-faire soient non seulement acquis mais aussi maîtrisés. « C’est la raison pour laquelle nous préparons des séances d’entraînement de trois semaines – elles sont de deux semaines, aujourd’hui – en vue d’éprouver les soldats et les chefs dans la durée, dans des situations plus complexes, où ils ne bénéficient pas de la supériorité tactique et technique dans tous les domaines », a indiqué le général Burkhard.

Ensuite, la victoire allant vers « celui qui manœuvre plus vite et mieux que l’autre », le CEMAT estime que l’armée de Terre doit renouer avec les grands exercices visant à faire manoeuvrer réellement une division et ses brigades. « C’est le seul moyen de s’entraîner et d’approcher la friction du combat », a-t-il dit.

De tels exercices « concourent à deux objectifs. D’abord, à disposer d’unités entraînées, capables de s’engager et de vaincre un ennemi menaçant nos intérêts, quel que soit le niveau de rapport de forces qu’il a choisi. Ensuite, à afficher une posture dissuasive, à même de faire renoncer nos compétiteurs avant qu’ils ne deviennent nos ennemis. Une meilleure intégration de la guerre informationnelle constitue par ailleurs une évidence avec la maîtrise de la communication stratégique », a expliqué le général Burkhard.

En outre, ces entraînements doivent évidemment reposer sur des « mises en situations réalistes » que la simulation, malgré les potentialités qu’elle apporte, ne peut pas toujours offrir. « S’entraîner en salle avec un simulateur ou sur le terrain dans le froid ne prépare pas une unité ou un soldat dans les mêmes conditions. Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients et nous combinons les deux », a souligné le général Burkhard.

Ce changement d’échelle dans l’entraînement exige aussi des équipements disponibles… « Il est impossible de s’entraîner au bon niveau si les matériels majeurs ne sont pas opérationnels, c’est-à-dire disponibles et avec suffisamment de potentiel. C’est donc tout le rôle du maintien en condition opérationnelle qui est un préalable à l’entraînement », a insisté le CEMAT. Or, pour le moment, ce point pose un problème.

« Il est par exemple prévu qu’en fin de LPM, nos équipages Leclerc fassent un minimum de 115 heures d’entraînement par an sur leur char. Aujourd’hui, nous sommes encore assez loin de cet objectif », a-t-il ainsi admis. Et d’ajouter : « Nous étions censés nous diriger vers 93 % des normes LPM réalisées en 2025 ; actuellement, nous sommes entre 55 et 60 % et je n’entrevois pas d’amélioration à court terme. Dans le domaine de l’aéromobilité, nous n’avons pas pu aller au-delà du seuil des 140 heures, qui est le seuil minimal requis. »

Par ailleurs, cela suppose également de disposer de suffisamment de munitions. Or, l’armée de Terre manque de « munitions de gros calibre et de nouvelle génération pour conduire un entraînement de haute intensité », a dit le CEMAT. « Cela s’explique, non seulement par une technologie croissante, et souvent coûteuse, mais également parce que la mise en place de nouvelles munitions ne les rend pas disponibles pour l’entraînement – il convient, avant, de constituer et de gérer les stocks », a-t-il ajouté.

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