SCAF : Le Délégué général pour l’armement n’est pas convaincu par le concept de jumeau numérique

Outre-Atlantique, on attend beaucoup des nouvelles technologies liées à l’ingénierie numérique pour accélérer la mise au point de nouveaux avions de combat afin de coller au mieux à l’évolution des menaces. Au point que l’on parle de revenir à l’ère des « Century Series Fighters », époque marquée par un foisonnement de prototypes et d’appareils entrés en service en l’espace de quelques années seulement. Et l’actuel secrétaire à l’Air Force pour l’acquisition, la technologie et la logistique, Will Roper, parle désormais de « Digital Serie Fighters« .

Ces technologies reposent notamment sur le concept de « jumeau numérique », c’est à dire, selon la définition donnée par l’Alliance Industrie du Futur, sur un « clone virtuel d’un système physique ou d’un processus » qui « implique systématiquement l’existence d’un couple ‘modèle numérique’ avec l’objet qu’il copie. »

En clair, en couplant simulation et toutes les données utiles à la conception et à la production, il est possible de développer un nouvel objet en peu de temps, à moindre coût et en sautant la phase de prototypage.

Selon M. Roper, cette technologie aurait été utilisée pour mettre au point le nouvel avion de combat de 6e génération qui, développé en secret [probablement par Lockeed-Martin] aurait récemment effectué son premier vol.

Et, désormais, tous les avions conçus grâce à l’ingénierie numérique auront le préfixe « e » à la place du « X » qui désignait jusqu’alors les appareils expérimentaux. C’est ainsi que le prochain avion d’entraînement de l’US Air Force, le T-7A Red Hawk, aura l’appellation « eT-7A Red Hawk ». D’après le responsables du Pentagone, seulement 36 mois auraient été necessaire pour passer de l’idée sur un écran d’ordinateur au premuer vol de cet appareil développé conjointement par Boeing et Saab.

Au Royaume-Uni, on mise également beaucoup sur l’ingéniérie numérique pour le développement du Tempest, le futur avion de combat de la Royal Air Force. Ce qui éviterait de passer par la case « démonstrateur », ce qui permettrait de réduire les coûts et les délais.

 » Le concept de jumeau numérique que nous avons développé sera utilisé pour concevoir, tester et prendre en charge chaque système et structure du Tempest. En adoptant une approche entièrement numérique pour relever le défi que le gouvernement britannique nous a lancé, nous transformons notre façon de travailler et aujoutons une valeur incroyable au programme », a ansi fait valoir Paul Wilde, responsable de la technologie chez BAE Systems.

Cette approche peut-elle être adoptée pour le New Generation Fighter [NGF], l’avion de combat que développe la France, l’Allemagne et l’Espagne pour le Système de combat aérien du futur [SCAF]? La question a été posée à Joël Barre, le Délégué général pour l’armement [DGA], lors de sa dernière audition au Sénat. Et, visiblement, les annonces britanniques le laissent sceptiques.

Ayant rendu, l’été dernier, un rapport complet sur le SCAF avec son collègue Ronan Le Gleut, la sénatrice Hélène Conway-Mouret a ainsi voulu connaître le sentiment du DGA sur l’approche adoptée par les Britanniques au sujet du Tempest.

« Les Britanniques travaillent déjà sur le système de systèmes alors que nous sommes concentrés sur le démonstrateur avec 2026 comme objectif. L’usine 4.0 de BAE Systems fera appel à l’impression 3D et à la robotique pour réduire les délais et les coûts. La technologie, dite des jumeaux numériques, devrait accélérer le développement de cet avion sans utiliser de démonstrateur. Les Britanniques évoquent entre autres un cockpit portable et un co-pilote virtuel. L’ambition est la même que la nôtre, mais l’approche est totalement différente », a en effet souligné Mme Conway-Mouret.

Mais cela n’a pas l’air n’impressionner M. Barre. « J’ai lu […] les travaux sur les jumeaux numériques et l’usine 4.0. Encore faudrait-il s’assurer de ce que recouvrent les annonces », a-t-il dit. « Les Britanniques ont déclaré avoir investi 2 milliards de livres sterling ; nous avons déjà investi 150 millions d’euros sur les études préalables du SCAF et prévoyons d’investir 2,5 milliards d’euros sur la tranche 2021-2026. Cela est donc tout à fait comparable », a-t-il ensuite fait remarquer.

Mais s’agissant plus particulièrement des avancées en matière d’ingénierie numérique, le DGA est très circonspect. « Je ne suis pas convaincu par les théories affirmant que les jumeaux numériques remplaceront les démonstrateurs. Les jumeaux numériques sont des maquettes numériques, la démonstration en vol est incomparable », a-t-il affirmé.

En outre, a-t-il ajouté, « il n’est pas exact d’affirmer que nous ne réaliserions pas, contrairement à eux, un ‘système de systèmes’. Le démonstrateur de 2026 est bien un démonstrateur du ‘système de systèmes’, pas seulement un démonstrateur de l’avion. »

Justement, à ce sujet, M. Barre a indiqué que « cinq architectures de systèmes » pour le SCAF ont été « identifiées par les études préalables », dont « trois modèles d’avion différents et trois types de drones, y compris le Loyal Wingman ».

« Ces études s’affineront encore et, en 2026, nous réaliserons une démonstration en vol, non pas uniquement de l’avion mais de l’avion et des drones retenus dans la configuration système » et « ainsi, nous aboutirons en 2027 à une définition du système de combat aérien du futur à l’horizon 2035-2040 », a expliqué le DGA.

Dans le domaine aéronautique, Dassault Aviation a déjà recours au concept de jumeau numérique pour assurer le Maitien en condition opérationnel [MCO] des Rafale, dans le cadre du contrat RAVEL [Rafale Verticalisé] que lui a confié la Direction de la maintenance aéronautique [DMAé].

« Il s’agit de récupérer les données de maintenance des flottes, de les introduire dans le jumeau numérique de chaque appareil via la plate-forme 3DExperience de Dassault Systèmes, puis d’en faire l’analyse. À la clé, une réduction du temps d’intervention et une maintenance prédictive », a ainsi expliqué Jean Sass, responsable de la transformation numétique chez Dassault Aviation, dans les colonnes de l’Usine nouvelle. « Cette plate-forme est en outre destinée à établir un standard industriel de traitement pour le futur avion de combat européen au cœur du SCAF », a-t-il ajouté.

Dans un autre domaine, Naval Group est à la pointe de ce concept. « Nous avons développé le jumeau numérique de toute la chaîne fonctionnelle de propulsion du navire en modélisant l’ensemble de ses constituants. Ces modèles ont pu être regroupés pour fonctionner simultanément de façon à simuler globalement le fonctionnement de la chaîne propulsive du Barracuda », a indiqué Yves Dubreuil-Chambardel, en charge de la transformation numérique et chez les l’industriel. Et d’expliquer, au site Industrie&Technonologie : « Le jumeau numérique permet d’optimiser des choix de conception, de passer en revue un grand nombre d’hypothèses d’architecture. Ce qui serait très difficile de faire à la main si on n’avait pas cet outil qui prédit les performances associées à chaque configuration testée. » Ce qui réduit la durée des essais sur banc de 15 mois.

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