Dix ans après les accords de Lancaster House, quelle suite à donner à la coopération franco-britannique?

Le 2 novembre 2010, ayant une approche des questions militaires très proches, la France et le Royaume-Uni décidaient d’approfondir leur coopération en matière de défense via la signature des accords de Lancaster House. Le bilan de ces derniers est un peu plus contrasté que celui établi par la déclaration publiée conjointement par Florence Parly, la ministre française des Armées, et Ben Wallace, son homologue britannique, à l’occasion de leur dixième anniversaire.

Ainsi, dans le domaine aéronautique, les accords de Lancaster House prévoyaient le développement conjoint d’un drone MALE [Moyenne Altitude Longue Endurance], appelé Telemos. Ce projet, confié à BAE Systems et à Dassault Aviation, devait coûter 500 millions d’euros à chacun des deux pays.

« Nous sommes prêts à passer à l’étape d’après. Nous n’attendons plus que la décision formelle de nos deux gouvernements », avait alors soutenu, Éric Trappier, alors directeur général de Dassault Aviation. « Si la décision était prise cette année [en 2011, ndlr], nous serions capables de livrer cinq ans plus tard », avait-il ajouté. Seulement, la décision attendue n’est jamais venue, la France ayant finalement renoncé « dans le cadre d’un réexamen de la stratégie d’ensemble en matière de drones », expliquent les députés Jacques Marilossian et Charles de la Verpillière, dans un rapport faisant le bilan des accords de Lancaster House qu’ils viennent de publier.

Le programme « SCAF » qui, en 2014, visait à mettre au point conjointement un drone de combat en capitalisant sur les essais des démonstrateurs nEUROn [Dassault Aviation] et Taranis [BAe Systems], n’a guère eu plus de succès, alors que Paris et Londres avaient pris l’engagement d’y investir deux milliards d’euros [en 2016]. Mais, cette fois, ce furent les Britanniques qui renâclèrent, essentiellement pour des raisons budgétaires sur fond de Brexit.

Depuis, le projet SCAF [Système de combat aérien du futur] est devenu plus ambitieux, avec le développement d’un avion de combat de 6e génération au centre d’un « système de systèmes », dans le cadre d’une coopération associant la France, l’Allemagne et l’Espagne. Côté britannique, le programme « Tempest » a été lancé avec la même approche et il fédére l’Italie et, à un degré moindre, la Suède. Cela étant, Français et Britanniques continuent de coopérer sur des « briques technologiques », susceptibles de mener à des « rapprochements futurs », veulent croire MM. Marilossian et de la Verpillière.

Cela étant, et même si la coopération franco-britannique n’a pas pu aller aussi loin qu’on aurait pu l’imaginer [comme par exemple l’achat par Londres de VBCI, un temps envisagé pour la British Army], les accords de Lancaster House ont été porteurs d’avancées significatives dans d’autres domaines. Au niveau opérationnel, d’abord, avec, par exemple, l’annonce de la pleine capacité opérationnelle de la Force expéditionnaire commune interarmées [Combined Joint Expeditionary Force – CJEF], faite le 2 novembre par Mme Parly et M. Wallace, ou encore l’engagement d’hélicoptères de transport lourd CH-47D Chinook de la Royal Air Force au sein de la force Barkhane au Mali.

Au niveau industriel, ensuite, avec l’initiative « One Complex Weapons » dans le domaine des missiles, avec l’objectif de faire émerger un maître d’oeuvre européen de référence en s’appuyant sur MBDA. Des centres d’excellence, reposant sur le principe de dépendances mutuelles, ont ainsi vu le jour de part et d’autre de la Manche. Et deux programmes importants, à savoir le missile anti-navire léger [ANL ou Sea Venom] et le Futur Missile Antinavire / Futur Missile de Croisière [FMAN-FMC], qui remplacera les missiles SCALP-EG et les missiles antinavires Exocet français et Harpoon britanniques, sont en bonne voie.

Un autre programme emblématique est le MMCM [Maritime Mines Counter Measures]. Devant permettre le renouvellement des capacités de lutte anti-mine via un système de drones navals, il va faire l’objet d’un contrat de production qui sera signé d’ici les prochains jours en vue d’une livraison des premières capacités opérationnelles en 2022.

Par ailleurs, des progrès ont été constatés en matière de dissuasion nucléaire, via la mise en oeuvre du traité « Teutates », qui prévoit le l’utilisation conjointe des installations de simulation nécessaires à la fiabilisation des armes nucléaires du site que la Division des applications militaire [DAM] du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables [CEA] exploité à Valduc.

Selon le rapport de MM. Marilossian et de la Verpillière, les « deux machines radiographiques apportées par les Britanniques ont été qualifiées à Aldermaston et devraient être installées en 2022 à Valduc » et le « projet entrera ensuite dans une phase exclusivement expérimentale, les deux pays partageant les coûts d’exploitation. »

Cette coopération, écrivent-ils, a permis « de confirmer la viabilité de la dissuasion britannique, contribuant ainsi à un équilibre politique et diplomatique entre les puissances occidentales et dans le monde », de réaliser une économie de 450 millions d’euros les économies réalisées sur cinquante ans » et de « pousser les deux grandes puissances militaires européennes à s’engager l’une envers l’autre pour un demi-siècle. »

Dans leur déclaration commune, Mme Parly et M. Wallace disent vouloir approfondir ce partenariat franco-britannique. « Nous nous engageons dès lors à tirer parti des progrès rélisés ces dix dernières années pour poursuire le développement de notre coopération en cours de la prochaine décennie, notamment en vue du sommet franco-britannique de 2021 », font-ils valoir.

Reste à voir les domaines où cette coopération franco-britannique pourrait être amplifiée. L’espace pourrait en être un. « À trois reprises [2010, 2012 et 2014], la mise en commun des futures communications militaires par satellite a été mentionnée dans des déclarations conjointes. La France et le Royaume-Uni sont en effet les seules nations européennes à avoir des capacités de ce type depuis 1986. Toutefois, elles ne sont pas allées au-delà de l’étude exploratoire », rappellent MM. de la Verpillière et Marilossian dans leur rapport.

Pourra-t-il en aller autrement? Peut-être… une nouvelle lettre d’intention dans le domaine des communications satellitaires [SATCOM] venant d’être signée, alors que Londres a déjà confié un contrat de 550 millions d’euros à Airbus pour la livraison d’un satellite de communication militaire Skynet 6A et que Paris entend mettre sur orbite le satellite Syracuse IV en 2023. Si coopération il doit y avoir, elle portera donc sur les satellites de prochaine génération.

En outre, les députés ont aussi identifié les menaces hybrides et cyber comme un nouvel axe de coopération. Ces dernières n’ont pas été prises en compte par les accords de Lancaster House. Il serait donc souhaitable, estiment-il, d’y remédier, d’autant que les Britanniqes ont « beaucoup investi » dans ces domaines.

Cela étant, faute de connaitre les perspectives budgétaires des deux côtés du « Channel » et les orientations capacitaires des forces britanniques, il est difficile d’identifier d’autres axes de coopérations précis, sauf à bâtir des plans sur la comète. Pour autant, il existe, côté français, une « forte appétence », en particulier dans les domaines aéronautique et naval, avancent les deux parlementaires.

Ainsi, l’armée de l’Air et de l’Espace [aAE] « aimerait pouvoir proposer à la Royal Air Force une flotte partagée d’hélicoptères lourds », indiquent-ils. « Dans cette hypothèse, ceux-ci seraient produits en coopération. En tout état de cause, la France ne dispose pas aujourd’hui d’une telle capacité, tandis que le Royaume-Uni a déjà des CH‑47 Chinook », tempèrent-ils.

Mais notammennt dans le domaine naval que de projets communs ont sans doute le plus de chances d’aboutir. Ainsi, selon le rapport, l’état-major de le Marine nationale « estime que les problématiques communes aux deux marines en matière de lutte anti-sous-marine pourraient justifier un travail commun sur la prochaine génération de sonars. » Ce qui passerait par une coopération en matière de sonars, qui pérenniserait « l’interopérabilité des deux pays et de conserver leur avance capacitaire. »

La défense surface-air pourrait être un autre domaine de coopération, d’autant que les frégates Horizon de la Marine nationale et les contre-torpilleurs de type 45 de la Royal Navy ont un commun le même système [Principal Anti-Air Missile System, PAAMS]. « Les marines françaises et britanniques souhaiteraient apparemment travailler sur la prochaine génération de missile. Ce projet est lui aussi de nature à renforcer l’interopérabilité à la mer », soulignent les députés français.

Enfin, le développement commun de drones sous-marins pourrait être un autre axe de coopération entre la Marine nationale et la Royal Navy. Mais la seconde a déjà pris les devants, en lançant le programme « Royal Navy’s autonomous underwater capability » en 2019.

Photo : Royal Navy

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