SCORPION : La rénovation des chars Leclerc risque d’être beaucoup plus coûteuse que prévue

Dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques [RGPP], le Maintien en condition opérationnel terrestre [MCO-T] avait été profondément remanié, avec l’objectif de réaliser des économies tout en cherchant à accroître « l’efficience » des armées, ce qui s’était traduit par la suppression de 6.000 postes avec la mutualisation des moyens et ainsi que par un recours accru aux externalisations ainsi que par une gestion à « flux tendu » des stocks de pièces détachées.

Si, depuis, des corrections ont été apportées avec de nouvelles réformes engagées en 2016 et en 2018, les effets négatifs de cette politique sont encore palpables, d’autant plus qu’ils ont été amplifiés par la crise sanitaire liée à la covid-19. C’est en effet ce que souligne la députée Sereine Mauborgne [LREM], dans son rapport pour avis sur les crédits de l’armée de Terre.

« Un certain nombre de réformes, adoptées pour améliorer l’efficience des armées, ont aussi eu pour effet de créer des rigidités qui pénalisent la préparation opérationnelle et pourraient se révéler problématiques en cas de crise majeure », écrit ainsi la députée. En outre, poursuit-elle, « la crise sanitaire ainsi que les difficultés actuelles de l’armée de Terre à augmenter son activité d’entraînement semblent avoir montré les limites de l’approche privilégiée depuis dix ans de suppression des stocks au profit d’un modèle d’approvisionnement en pièces en flux tendus ». Et de citer le général Charles Palu, sous-chef Plans & programmes de l’état-major de l’armée de Terre : « Il faut oser avoir des stocks ».

Les chars Leclerc en font ainsi les frais, ce qui a pour conséquence un temps d’entraînement réduit pour leurs équipages. Temps qui devrait passer de 20.000 heures en 2019 à seulement 13.000 heures l’an prochain.

Or, en 2010, le char Leclerc avait ait l’objet « du premier marché de soutien en service », rappelle Mme Mauborgne. Et, ajoute-t-elle, le « bilan de ces dix ans invite à être plus exigeant et plus fin dans le suivi des stocks de pièces de rechange et le contrôle des actions industrielle. » Ainsi, explique-t-elle, « au contrat Leclerc était en effet adossé un catalogue de pièces exigibles au titre du soutien du matériel, catalogue qui s’est rapidement révélé insuffisant. Une négociation est nécessaire dès qu’un besoin hors catalogue survient avec, à la clé, des délais et des surcoûts parfois importants, en particulier quand il fallut relancer la production de certaines pièces. »

S’agissant du char Leclerc, l’exemple de turbomachine qui permet à son moteur de propulser sa masse de 59 tonnes à 70 km/h sur route [et à 50 km/h en tout terrain] est « éloquent », souligne la députée, pour qui il est l’illustration que, une fois de plus, les « petites économies à court terme réalisées hier créent parfois des surcoûts colossaux à long terme. »

« En 2014, Nexter a informé le ministère des Armées de la nécessité d’investir 4 millions d’euros pour le maintien de la chaîne industrielle produisant les turbomachines du Leclerc. L’investissement n’ayant pas été réalisé, les chaînes industrielles ont été réorientées au profit d’autres productions », explique ainsi Mme Mauborgne. Mais cela vaut aussi pour les autres obsolescences identifiées, comme le « viseur chef de char ».

« Aujourd’hui, la résolution de toutes ces ‘obsolescences’ va coûter plusieurs centaines de millions d’euros, en plus des sommes déjà requises pour moderniser une partie du parc au standard XL, compatible avec le programme Scorpion, en attendant l’aboutissement du programme MGCS » [Main Ground Combat System, char franco-allemand, ndlr] », prévient la députée.

Lors de l’examen de son rapport en commission, cette dernière a releve que « lorsqu’une nouvelle obsolescence est répérée » sur le char Leclerc, il faut « environ trente-six mois pour y remédier ». Et d’ajouter : « De ce fait, chaque nouvelle obsolescence provoque un retard et a pour conséquence une baisse de la disponibilité technique opérationnelle des matériels. »

Quant à la modernisation du char Leclerc [version XLR], elle avait été engagée en 2015 pour 330 millions d’euros. Selon le calendrier établi à l’époque, il était question de de commencer les premières livraisons des premiers des 200 chars « rénovés » en 2020. Cette opération consistait à les rendre compatibles avec le programme SCORPION, c’est à dire à leur donner une capacité en matière de combat collobarotif, tout en renforçant leur protction face aux nouvelles menaces. Actuellement, ce calendrier est en cours de « consolidation », avec l’objectif de doter l’armée de Terre de 122 unités rénovées d’ici 2025, la cible finale étant toujours de 200 chars d’ici 2030.

Selon Mme Mauborgne, une étude d’un montant de 15 millions d’euros serait actuellement menée afin de proposer « des recommandations et une évaluation précise des surcoûts induits par ces obsolescences. »

Un point qu’a abordé Joël Barre, le Délégué général pour l’armement [DGA], lors de son audition par les députés dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2021. « Nous avons pris conscience qu’il fallait ajouter aux objectifs initiaux de rénovation du char Leclerc, qui s’inscrit dans le cadre du programme Scorpion, la nécessité de revoir les questions d’obsolescence […], en particulier concernant la turbomachine du char. Nous avons introduit ce paramètre dans l’exercice et sommes en train de l’analyser avant de lancer l’opération de rénovation du Leclerc dans les mois qui viennent », a-t-il expliqué.

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