Deux sénateurs américains veulent savoir si la Turquie a utilisé le système russe S-400 pour détecter des F-16 grecs

Fin août, Ankara a diffusé une vidéo montrant l’interception de F-16 grecs par des avions turcs du même type au-dessus de la Méditerranée orientale. Interception qui donna lieu à un simulacre de combat aérien rapproché [dog fight], les pilotes grecs n’ayant pas cherché la confrontation avec leurs homologues turcs. Cet épisode s’était produit le 27 août, à l’issue de l’exercice Eunomia, organisé conjointement par la Grèce, la République de Chypre, l’Italie et la France, qui, pour l’occasion, avait envoyé trois Rafale ainsi que la frégate légère furtive La Fayette.

Le 5 octobre, le quotidien I Kathimeriní a affirmé que les forces turques avaient activé le radar d’un système de défense aérienne S-400 Triumph, acquis auprès de la Russie, pour détecter les F-16 grecs à leur retour de l’exercice Eunomia, au large de Chypre, le 27 août.

Cela aurait apparemment, écrit le quotidien grec, « sonné l’alarme à Washington sur la situation en Méditerranée orientale et motivé les visites de secrétaire d’État américain Mike Pompei à Chypre le 12 septembre et en Grèce le 27 septembre. » Par la suite, l’US Navy a annoncé qu’elle affecterait en permanence l’USS « Hershel Woody Williams », un navire de type « Expeditionary Sea Base », à la base navale de Souda en Crète.

Cette décision montre « l’intention des États-Unis de renforcer substantiellement leur présence sur l’île. […] La Crète, en général, semble devenir une plaque tournante pour la concentration d’éqipements militaires, avec des infrastructures pouvant accueillir non seulement les forces grecques et américaines, mais également des unités des pays arabes, comme ce fut le cas ces dernières semaines avec des avions [des F-16, ndlr] appartenant aux Émirats arabes unis », a commenté I Kathimeriní.

Seulement, le journal n’a pas livré de détails sur cette utilisation par les forces turques du système S-400 pour détecter les F-16 grecs. Cela étant, on sait que, en novembre 2019, des essais avaient été réalisés avec des F-16 turcs. Ce qui avait fait réagir le chef de la diplomatie américaine étant donné que ce dispositif de défense aérienne est incompatible avec ceux de l’Otan, dont la Turquie et la Grèce sont membres depuis 1952.

« C’est inquiétant. Nous restons confiants et parlons encore aux Turcs pour essayer de trouver une voie de sortie. Je ne veux pas m’avancer sur ce que le président peut faire ou pas. Mais nous avons clairement exprimé au gouvernement turc notre volonté de les voir s’éloigner de la mise en opération complète » des S-400, avait déclaré Mike Pompeo, à l’époque.

Pour rappel, la livraison de batteries S-400 à la Turquie [pour 2,5 milliards de dollars] avait motivé l’exclusion de cette dernière du programme F-35, conduit par Lockheed-Martin, au motif que la mise en service de tels systèmes serait de nature à donner à la Russie un accès à des informations classifiées. Et, au Congrès, plusieurs élus plaident pour que l’administration américaine prenne des sanctions contre Ankara, conformément à la loi dite CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act], qui prévoit des mesures contre toute entité ayant des relations commerciales avec l’industrie russe de l’armement.

Mais, face à la perspective de sanctions, promises par Washington en cas d’activation des S-400, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, agite régulièrement la menace d’interdire de « chasser » les forces américaines de la base aérienne d’Incirlik [où est par ailleurs implanté un dêpôt de bombes nucléaires tactiques B-61 mises à la disposition de l’Otan, ndlr] et de fermer la base de Kurecik, où est installé un radar clé pour la défense antimissile de l’Alliance. D’où la retenue, jusqu’à présent, de l’administration Trump dans cette affaire.

Quoi qu’il en soit, deux sénateurs, le républicain James Lankford et le démocrate Chris Van Hollen, ont mis les pieds dans le plat, cette semaine, en adressant une lettre à M. Pompeo pour exiger des réponses au sujet de l’utilisation du système S-400 par les forces turques.

Pour les deux parlementaires, les informations du quotidien I Kathimeriní ainsi que celles relatives à un test général du système russe dans la région de Sinop démontrent que la « Turquie n’a pas l’intention […] de se séparer du système S400 ». Et d’estimer que la « lenteur avec laquelle le département de la Défense s’attache à retirer la Turquie de la chaine d’approvisionnement des F-35 a sans doute enhardi le président Erdogan ».

« L’activation [présumée, ndlr] par la Turquie du système S-400 pour détecter des F-16 de fabrication américaine souligne nos graves préoccupations sur la capacité de la Russie à accéder à des données sensibles », écrivent MM. Lankford et Van Hollen. Ces derniers terminent leur missive en posant trois questions [mais sans doute aurait-il fallu commencer par là…] : « La Turquie a-t-elle activé le système S-400 pour détecter des F16 revenant de l’exercice Eunomia? La Turquie a-t-elle intégré la liaison 16 [de données tactiques de l’Otan] dans le système S-400? Dans l’affirmative, cette intégration pourrait-elle permettre à la Russie de recueillir des informations sur les alliés de l’Otan? »

En attendant, une chose est certaine : les forces turques ont bien l’intention de tester leurs batteries S-400, avec des tirs de missiles intercepteurs à la clé, dans la région de Sinop, située sur les bords de la mer Noire, par ailleurs théâtre d’une bataille navale décisive remportée en 1853 par la marine russe face à celle de l’Empire Ottoman.

Plusieurs indices concordants vont dans ce sens. En effet, les autorités turques ont émis une notice pour interdire tous les entre Sinop et Unyem, à l’est du terrain d’essai, à une altitude inférieure à 25.000 pieds, au moins 10 drones cibles de type Banshee, fabriqués au Royaume-Uni, ont été acheminés dans le secteur, où des camions transportant des éléments du système S400 ont été filmés.

Photo : Système S400

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