L’idée d’un encadrement des jeunes délinquants par des militaires refait surface

« Quand lama fâché, lui toujours faire ainsi! », lance le jeune Zorrino au capitaine Haddock [dans l’album de Tintin intitulé « Le temple du soleil »]. Face à la délinquance, certains responsables politiques, dont souvent on peine à trouver la trace d’un quelconque passage sous les drapeaux, ont la même attitude que le lama, c’est à dire qu’ils ont toujours un même réflexe qui est d’assurer que un encadrement militaire pour ces jeunes serait une solution au(x) problème(s) qu’ils posent à la société.

À l’antenne de RMC/BFMTV, le 8 octobre, le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, a ainsi remis cette idée sur la table, comme il l’avait déjà fait en juillet, devant la commission des Lois, à l’Assemblée nationale, en disant préférer qu’un jeune « ait un militaire pour idole plutôt qu’un islamiste radical ou un caïd. »

« Je souhaite effectivement qu’il y ait un partenariat Justice/Armée pour certains mineurs, pour certains jeunes majeurs parce que je ne peux pas me résoudre à ce que de jeunes français sifflent la Marseillaise, crachent sur notre drapeau. Mais je dis également que quand on regarde un gamin, issu de l’immigration en particulier, comme un Français, il devient français », a dit le ministre de la Justice.

Une telle proposition n’est donc pas nouvelle. En 2007, alors candidate à l’élection présidentielle, Ségolène Royal fit une proposition du même ordre. Proposition qu’elle réaffirmera en 2010. « On va leur redonner de l’utilité sociale, on va leur apprendre un métier, tout ça de façon encadrée », dira-t-elle sur les ondes de France Inter, voyant dans l’encadrement militaire une alternative à la prison, qui « transforme les jeunes en délinquants plus durs que lorsqu’ils y sont entrés. »

Député des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti défendit une proposition de loi visant à « instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants », en se reposant sur les Établissements publics d’insertion de la la Défense [EPIDE]. Adopté malgré les réticences du Sénat, ce texte n’a jamais été appliqué. Plus récemment, en octobre 2018, le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, avait émis l’idée de faire encadrer les élèves ayant des problèmes de discipline récurrents au sein de leur établissement par de « jeunes retraités de l’armée. »

Cela étant, Me Dupont-Moretti a précisé ses intentions sur RMC/BFMTV. « Actuellement, l’armée accueille des jeunes, souvent déshérités. Elle leur propose une formation, ils sont payés, et à l’issue de la formation, on offre le permis de conduire au gamin, et je souhaiterais que le ministère de la Justice puisse intervenir dans ce processus », a-t-il dit, en référence, très certainement, au Service militaire volontaire [SMV], lancé en 2015 sur le modèle du Service militaire adapté [SMA], en vigueur depuis les années 1960 dans les départements d’outre-Mer.

Seulement, le SMV, comme son nom l’indique, repose sur le volontariat. Et il vise à donner une formation à des jeunes âgés de 18 à 25 ans ayant quitté le système scolaire sans la moindre qualification et diplôme tout en facilitant leur insertion professionnelle, en leur permettant, par exemple, de passer gratuitement l’épreuve du permis de conduire.

Intégrer dans ce dispositif, sur décision de justice, de jeunes délinquants, serait une toute autre affaire. Déjà parce que cela supposerait que les intéressés se plient, sans rechigner, à la discipline militaire qui leur serait imposée. Ce qui est loin d’être gagné. En outre, d’autres questions se posent : quel est en serait le financement? Et par quel ministère serait-il pris en charge? Combien de militaires faudrait-il affecter à cette nouvelle mission?

Selon le Garde des Sceaux, ce sujet a fait l’objet de discussions avec la ministre des Armées, Florence Parly. Mais, a-t-il admis, « les choses ne sont pas encore faites car, techniquement, c’est compliqué. Les idées parfois jaillissent mais la mise en oeuvre est peu plus compliquée. »

« Si la répression était la solution, il y a des siècles que nous le saurions », avait par ailleurs affirmé Me Dupont-Moretti devant les députés, en juillet dernier. Mais l’encadrement militaire de jeunes délinquants, qui a déjà été essayé par le passé, n’a, à ce jour, pas été concluant.

La loi du 21 mars 1905 sur le service militaire avait énoncé que les effectifs des Bataillons d’infanterie légère d’Afrique [BILA] seraient essentiellement constitués d’appelés ayant été condamnés à plusieurs reprises par la justice. L’expérience n’a pas été renouvelée depuis. Mais en 1986, et dans l’esprit de ce que voudrait Me Dupont-Moretti, il avait été créé l’association « Jeunes en équipe de travail » [JET], à l’initiative de l’amiral Christian Brac de La Perrière, d’Albin Chalendon, alors Garde des Sceaux, et d’André Giraux, alors ministre de la Défense.

Cette association organisait des « stages de rupture » de 4 mois au pour de jeunes délinquants de nationalité française ou étrangère [en situation irrégulière], sur proposition du juge d’application des peines. L’objectif était de accompagner en vue de leur réinsertion sociale et professionnelle. L’encadrement était assuré par des militaires d’active volontaires, à la charge du ministère de la Défense [et non à celle du ministère de la Justice].

Selon un rapport du Sénat publié en 2003, cette initiative n’a pas produit l’effet espéré. « Depuis sa création, 5.800 jeunes délinquants sont passés par JET. Les résultats obtenus montrent la très grande difficulté de réussir à réinsérer ces populations », avaient estimé les rapporteurs.

« L’association estime qu’un tiers des détenus majeurs ne terminent pas le stage en raison soit de leur expulsion pour non-respect de la discipline, soit de leur évasion, soit d’une mesure de libération anticipée. JET s’efforce de reprendre contact avec ses stagiaires deux ans après la fin du stage. Parmi ceux qui l’ont achevé, 20 % sont à nouveau incarcérés, 45 à 55 % semblent réinsérés et 35 à 45% n’ont pu être joints », lit-on dans le document.

Cependant, les rapporteurs avaient estimé que « l’expérience de JET devait être confortée » moyennant quelques ajustements. « Les formules de stage proposées doivent être adaptées pour permettre un meilleur taux de réussite », avaient-il souligné.

Photo : Maison de correction dans les années 1920

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