L’américain Teledyne renonce au rachat de Photonis, spécialiste français de l’optronique

Numéro un mondial des analyseurs de spectromètres de masse et spécialiste des systèmes de vision nocturne, le français Photonis a été mis en vente par le fonds d’investissement Ardian en septembre 2019. Et le groupe américain Teledyne a tout de suite flairé la bonne affaire, en mettant sur la table plus de 500 millions de dollars pour s’assurer du contrôle de cette pépite technologique française.

Seulement, Photonis fait plus que de produire des tubes amplificateurs de lumière [et donc des équipements de visions nocturnes] : le groupe est aussi un acteur de la dissuasion nucléaire française, à laquelle il fournit des composants du laser Megajoule, qui fait partie du programme « Simulation ». En outre, il produit également des éléments pour les sous-marins nucléaires de la Force océanique stratégique [FOST]. D’où les réticences des autorités françaises à le voir passer sous pavillon étranger.

Dans un premier temps, le gouvernement a demandé à Thales et à Safran d’examiner la possibilité de reprendre Photonis. Mais ni l’un ni l’autre n’avait intérêt à réaliser une telle opération. « On se trouve devant une version industrielle du dilemne du prisonnier : tous auraient intérêt à coopérer, mais aucun n’a intérêt à fournir seul l’effort », avaient résumé les sénateurs Pascal Allizard et Michel Boutant, dans un rapport sur la base industrielle et technologique de défense [BITD] remis en juillet.

En outre, ils qualifièrent l’initiative gouvernementale de « pis-aller » dans la mesure où, pour Thales et Safran, il n’y avait « aucune logique industrielle » à intégrer Photonis dans leurs activités. Qui plus est, les des industriels se seraient retrouvés en position de faiblesse pour négocier le prix auprès du fonds Ardian.

« Il n’est pas dit que l’intégration d’une ETI dans un grand groupe mondial puisse se faire en préservant son agilité, ses spécificités et sa capacité d’innovation ; il y a même lieu de penser le contraire, à plus forte raison s’il s’agit d’un rachat par deux groupes », avaient également souligné les deux sénateurs.

Aussi, le gouvernement a-t-il revu sa copie… en mettant des conditions drastiques au rachat de Photonis par Teledyne, dont l’entrée au capital de l’entreprise française de Bpifrance, avec un droit de veto pouvant être utilisé en cas de décision allant à l’encontre des intérêts français, et la mise en place d’un « comité de sécurité interne », composé de représentants du ministère des Armées et de celui de l’Économie. Et le tout assorti de l’interdiction de faire parvenir aux États-Unis toute information relative aux équipements livrés par Photonis aux forces françaises.

Ces dispositions avaient deux objectifs : préserver les secrets industriels concernant la dissuasion et éviter d’être soumis à la norme ITAR, laquelle donne à Washington un droit de regard sur les ventes d’équipements militaires conçus avec des composants d’origine américaine.

Ces conditions ont-elles été perçues comme trop « rigides »? En tout cas, selon un document adressé à la Securities and Exchange Commission [le « gendarme » boursier américain, ndlr] et repéré par La Tribune, Teledyne a indiqué avoir « volontairement accepté de se retirer sa demande d’autorisation » pour le rachat de Photonis, estimant que ce dernier, selon les conditions proposées par le ministère [français] de l’Économie, n’était pas réalisable à la valeur communiquée. »

Aussi, « Teledyne a décidé de mettre fin aux discussions concernant son projet d’acquisition de Photonis International SAS et de ses sociétés affiliées », a fait savoir le groupe américain.

Cependant, cette allusion à « la valeur communiquée » à Teledyne par les représentants de Photonis interroge… Le groupe français réalisant un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros [avec un millier de salariés], la partie américaine cherche-t-elle à réduire le prix d’achat en prenant le prétexte des conditions imposées par les autorités françaises?

Photo : © Photonis

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