Le groupe français SeaOwl a obtenu un permis de navigation pour un navire piloté à 800 km de distance

À la fin du XIXe siècle, le physicien Nikola Tesla avait imaginé le « Teleautomaton », une maquette de bateau alimentée par une batterie électrique et dirigé à distance par radio. S’il avait été techniquement possible de le mettre en pratique, un tel concept aurait certainement sauvé la vie de nombreux marins lors des deux guerres mondiales, les convois de navires marchands assurant les liaisons entre l’Amérique du Nord et l’Europe ayant été les cibles privélégiées des sous-marins allemands.

De nos jours, l’idée de Nikola Tesla tend à devenir réalité. En effet, les groupes norvégiens Kongsberg et Yara ont annoncé leur intention de développer le Yara Birkeland, un porte-conteneurs aux dimensions modestes [80 mètres] qui, à propulsion électrique, sera autonome. L’objectif est de pouvoir le faire faire naviguer sans équipage à bord, à partir de 2022, notamment entre les ports de Porsgrunn et ceux de Brevik et Larvik.

En France, spécialiste des services maritimes, le groupe SeaOwl s’est aussi engagé dans le développement d’un navire sans équipage. Une telle technologie lui permettrait en effet non seulement de réduire de 20 à 30% les factures qu’il adresse à ses clients mais aussi d’éviter d’exposer les marins dans des zones à risque.

D’où le projet que le groupe a lancé en 2015, avec le soutien et le financement de l’Agence de transition écologique [ADEME], de Total et du constructeur naval Naval Group. Et, le 10 septembre, SeaOwl a ainsi fait la démonstration de sa capacité à manoeuvrer, dans la rade militaire de Toulon, VN Rebel, un remorqueur sans équipage de 80 mètres de long affrété par la Marine nationale, depuis le site de l’École Polytechnique à Palaiseau [Essonne], soit à près de 800 km de distance.

Ainsi, la timonerie est une sorte « bulle immersive » comprenant des ordinateurs et une batterie d’écrans qui reçoivent les images des caméras installées à bord du navire sans équipage, afin de reconstituer en temps réel l’environnement dans leque évolue ce dernier, lequel est également bardé d’antennes et de radars pour éviter les collisions éventuelles avec d’autres bâtiments.

Depuis la passerelle reconstituée à terre, le télé-opérateur dispose évidemment des commandes des moteurs et de la barre, de deux radios VHF pour communiquer avec les autorités portuaires et les autres navires si cela s’avère nécessaire. Les instructions sont envoyées en 6 dixièmes de seconde [quand la météo est bonne] via une liaison satellite. Ce qui pose la question de la cybersécurité, laquelle a fait l’objet d’une attention toute particulière. Et si jamais la liaison est rompue, le navire s’arrête et se met au face au vent.

Sa démonstration ayant été réussie, SeaOwl a donc obtenu, des mains d’Annick Girardin, la ministre de la Mer, le premier permis de navigation de navire téléopéré en France. Ce qui n’a pas échappé à l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM]. « Pour une marine de pointe, je salue l’audace de SeaOwl, qui place le monde maritime à la pointe de l’innovation. Le navire autonome est prêt avant la voiture autonome! Bravo aux marins qui savent oser, imaginer et prendre des risques », a-t-il affirmé, via Twitter.

Si le VN Rebel n’est pas totalement autonome [puisqu’il est télépiloté à distance, ndlr], le projet de SeaOwl peut effectivement intéresser la Marine nationale, qui, en la matière, attend déjà beaucoup du Système de lutte anti-mines du futur [SLAMF], qui se compose d’un robot télé-opéré [ROV] chargé d’identifier et de neutraliser les mines, de trois drones sous-marins [AUV] et d’un drone de surface tenant le rôle de « bateau-mère » et doté d’un sonar remorqué.

Mais plus généralement, pouvoir manoeuvrer un navire à distance, relativement imposant ou pas, ouvre des perspectives intéressantes dans le domaine militaire. D’ailleurs, le groupe israélien Elbit ne s’y est pas trompé, avec le Seagull, un bateau téléopéré pouvant assurer des missions allant de la détection de mines à la surveillance du littoral en passant par la neutralisation de cibles, grâce à des torpilles.

Le britannique Rolls Royce, qui a publié un livre blanc sur le sujet [.pdf], planche sur un navire « autonome » à propulsion électrique affichant un déplacement de 700 tonnes pour des missions de patrouille et de surveillance maritime. De tels bateaux sont « un moyen d’accroître la capacité opérationnelle, de réduire les risques pour l’équipage ainsi que les coûts d’exploitation et de construction », explique l’industriel. la Royal Navy a d’ailleurs lancé l’initiative « NavyX« , avec l’objectif de faire sortir rapidement « les nouvelles technologies de la planche à dessin et de les mettre entre les mains de [son] personnel pour des applications opérationnelles. »

Aux États-Unis, l’US Navy a déjà effectué des essais prometteurs avec le Sea Hunter, un trimaran de 140 tonnes, mis au point et construit par Leidos et Vigor Technologies. D’une autonomie de 70 jours, ce bateau peut être contrôlé à distance ou naviguer de manière autonome. Bardé de capteurs, sonars et autres radars, il est supposé effectuer des missions de lutte anti-sous-marine, voire d’accompagner des navires avec équipages ou d’évoluer en essaim. La marine américaine a en outre le dessein de disposer de deux « grands » navires de surface sans équipage [de 2.000 tonnes, via la programme « Large Unmanned Surface Vehicle », ndlr], ce qui ne va pas sans susciter un certain scepticisme parmi les élus du Congrès.

Photo : Grivaz, via Wikimedias – Archive

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