L’achat de deux sous-marins S-26T auprès de la Chine fait polémique en Thaïlande

Alliée au Japon durant la Seconde Guerre Mondiale, la Thaïlande disposait alors de quatre sous-marins appartenant à la classe Matchanu, acquis auprès du constructeur japonais Mitsubishi à la fin des années 1930. N’ayant joué aucun rôle durant le conflit [si n’est, pour deux d’entre eux, de servir de centrale électrique à Bangkok après un bombardement allié, ndlr], ces navires furent retirés du service en 1951 après une tentative manquée de coup d’État lancée par des officiers de marine.

Et cela, pour deux raisons. La première visait à « punir » la Marine royale thaïlandaise pour son manque de loyauté à l’égard du pouvoir en place, alors incarné par Plaek Phibunsongkhram. Quant à la seconde, elle était d’ordre pratique : l’industrie militaire japonaise ayant été démantelée au lendemain la guerre, il était devenu impossible de se procurer des pièces de rechange.

Par la suite, la Marine royale thaïlandaise devint la première d’Asie du Sud-Est à se doter de capacités aéronavales, avec la mise en service, en 1997, du navire d’assaut amphibie HTMS Chakri Naruebet, pouvant accueillir des avions Harrier AV-8S Matador [9 exemplaires de première génération acquis auprès de l’Espagne] et d’hélicoptère SH-60B Sea Hawk gréés pour la lutte anti-sous-marine.

Dans le même temps, à l’instar des autres pays de la région, la Thaïalande chercha à se doter, à nouveau, de sous-marins, l’enjeu étant d’être en mesure de surveiller et de protéger sa zone économique exclusive [avec ses plate-formes pétrolières, en particulier dans le golfe de Thaïlande et en mer d’Andaman]. En outre, ses frontières maritimes sont contestées par le Vietnam, la Malaisie et le Cambodge.

Ainsi, Bangkok examina plusieurs pistes pour doter sa marine de sous-marins. Des contacts furent établis avec l’allemand TKMS à la fin des années 1990 pour l’achat de Type 209, puis de Type 206, pour 154 millions d’euros. Même chose avec Kockums, pour des modèles de la classe Gotland. Plus récemment, il fut question de l’acquisition de deux navires russe de la classe Amour… Mais les difficultés financières eurent toujours raison de cette ambition. Comme, du reste, de la carrière opérationnelle du HTMS Chakri Naruebet, très peu employé, faute de moyens.

Cependant, en 2015, la Thaïlande annonça son intention de commander trois sous-marins S-26T [version export du Yuan 039A] auprès de la Chine, pour environ 900 millions d’euros. Et la construction du premier exemplaire débuta en septembre 2019, pour une livraison prévue en 2023, voire 2024.

L’acquisition des deux autres S-26T, pour 609 millions d’euros, a récemment été approuvée, de justesse, par une sous-commission parlementaire. Seulement, cela a suscité une levée de boucliers dans le pays, dont l’économie souffre énormément des conséquences de la pandémie de covid-19, l’activité touristique s’étant effondrée. Résultat : le Produit intérieur brut a reculé de 12% au second trimestre.

Dans ce contexte, les opposants font valoir qu’une telle acquisition est bien trop coûteuse pour des navires dont l’intérêt, selon eux, serait « limité » pour un pays aux eaux peu profondes. Le chef d’état-major de la Marine royale thaïlandaise, l’amiral Sittiporn Maskasem, a alors donné une conférence de presse pour défendre cet achat.

Et d’expliquer qu’il était plus que jamais nécessaire étant donné que les voisins de la Thaïlande sont tous dotés de sous-marins [ou sont sur le point de l’être].

Mais cet argument n’a visiblement pas eu d’effet sur l’opinion publique. Le 31 août, le Premier ministre [et ministre de la Défense] thaïlandais, le général Prayut Chan-O-Cha, a demandé à la Marine royale thaïlandaise de « retarder » l’achat de ces deux sous-marins et de « négocier avec la Chine pour obtenir un délai » d’un an. Et il faudra également discuter avec Pékin sur une autre retard : celui des versements qui auraient dû être faits pour le premier navire et qui ont été détournés pour la lutte contre la covid-19.

Quoi qu’il en soit, pour le général Prayut, il n’est pas question de renoncer à ce contrat avec la Chine. « Les sous-marins sont un élément clé du développement des forces armées, de sorte que leur achat ne peut être que retardé », a-t-il dit, selon des propos rapportés par le quotidien Bangkok Post.

Par ailleurs, les soubresauts politiques en Thaïlande [avec deux coups d’État militaires : l’un en 2006, l’autre en 2014] rendent compliqués les coopérations militaires, notamment avec les Occidentaux. Et Pékin en a profité.

« De toute évidence, le gouvernement militaire thaïlandais a trouvé un soutien à Pékin, la Chine ayant soutenu les généraux thaïlandais lors des deux coups d’Etat en 2006 et 2014 », avait expliqué Thitinan Pongsudhirak, directeur de l’Institut d’études sur la sécurité et les études internationales à l’Université Chulalongkorn de Bangkok, au moment de l’annonce du choix en faveur des sous-marins chinois. « Avoir la Chine de son côté est extrêmement important pour l’armée thaïlandaise parce que cela lui donne une légitimité internationale alors que les pays occidentaux ont généralement pris leurs distances avec la Thaïlande », avait-il ajouté.

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