16 août 1940 : Les Français libres obtiennent leur première victoire aérienne… avec un bombardier

Le 8 juillet 1940, soit trois semaines après avoir lancé, sur les ondes de la BBC, son appel à continuer le combat contre l’Allemagne nazie, le général de Gaulle crée officiellement les Forces aériennes françaises libres [FAFL] et en confie alors provisoirement le commandement à l’amiral Émile Muselier.

Au départ, leurs effectifs sont relativement minces, avec environ 600 volontaires recrutés notamment parmi la centaine d’élèves pilotes ayant rejoint l’Angleterre sous les ordres du lieutenant Édouard Pinot. Puis ils s’étoffent au fil des jours, avec les ralliements d’aviateurs expérimentés, qui, pour la plupart, n’avaient pas pu prendre part à la campagne de France en raison de leur affectation outre-Mer ou au Levant. Au 31 juillet 1943, ils seront 3.000 à défendre les ailes françaises.

Une semaine avant la création des FAFL, deux bombardiers Glenn Martin 167 du Groupe de bombardement 1/61 [les numéros 82 et 102] décollèrent de Youks-les-Bains [Algérie] pour rejoindre l’Égypte et les forces britanniques afin de continuer le combat. Ainsi, le capitaine Roger Ritoux-Lachaud [officier observateur] et l’adjudant Raymond Rolland [pilote] prirent place à bord du premier appareil tandis que le second était piloté par l’adjudant-chef Yves Trécan, alors accompagné par le capitaine Jacques Dodelier [observateur] et le sergent-chef Robert Cunibil [mécanicien].

Après plus de 4 heures de vol, les deux Glenn Martin 167 se posent à Marsa Matrouh. Là, les cinq aviateurs français affichent leur détemination à poursuivre le combat. Ils sont alors aiguillés vers le quartier général de la Royal Air Force à Bogush, avant de rejoindre Heliopolis le lendemain.

Le 8 juillet, et alors qu’ils apprendront l’existence du général de Gaulle quelques jours plus tard, ils s’engagent dans la RAF Volunteer Reserve et, avec une dizaine d’autres aviateurs français « dissidents » [dont le lieutenant observateur Pierre de Maismont et le sergent mécanicien René Bauden], ils forment, à l’initiative du capitaine Paul Jacquier et grâce à un accord passé avec l’Air Chief Marshal Longmore, les trois premières unités françaises constituées au sein de la Royal Air Force : le No.1 French Bomber Flight, avec les deux Glenn Martin 167, le No.2 French Fighter Flight [avec deux Morane Saulnier 406 et deux Potez 63/11] et le No.3 French Communication Flight [deux Simoun et un Bloch 81].

Cinq jours plus tard, le No.1 French Bomber Flight [FBF], sous les ordres du capitaine Dodelier, rejoint le terrain de Khormaksar, à Aden [Yémen], où sont déjà affectés les No. 8 Squadron et No. 203 Squadron de la RAF, dotés de bombardiers Bristol Blenheim. La mission des aviateurs français consiste alors à effectuer des vols de reconnaissance au-dessus de l’Abyssinie, alors occupée par les troupes italiennes.

Le capitaine Dodelier ouvre le journal de marche et des opérations de son unité ainsi : « Le présent cahier mentionne les missions effectuées par les deux Glenn 82 et 102; elles partent du 1er juillet 1940, date à laquelle se sont envolés d’Algérie vers l’Egypte les deux avions. Leurs équipages ont compris que la France ne pouvait revivre libre sans la victoire de l’Angleterre; ils pouvaient y contribuer, leur âme était jeune comme les avions étaient neufs. Ne voulant pas être de ceux qui attendent sans combattre cette victoire et comptent pour la libération de leur pays sur la générosité de l’allié abandonné, ils ont préféré donner leur travail et, s’il le faut, leur sang pour que cette reconstitution de la Patrie soit un acte de justice, non de mansuétude. Ils auront, eux, le droit de réclamer si c’est nécessaire et le sang des morts parlera mieux que tous les discours. A la discipline aveugle, ils ont préféré le chemin de l’honneur; c’est celui de l’intérêt de la France immortelle. L’avenir jugera. »

Seulement, les opérations du FBF commencent mal : au moment d’atterrir à Djibouti, où devaient se rendre le colonel de Larminat et le lieutenant de vaisseau Sourisseau pour rallier la côte des Somalis à la France Libre, un pneu de la roue gauche du Glenn Martin 167 n°82 éclate. Faute de pièce de rechange sur place, il est alors décidé de démonter l’une des roues du n°102, alors resté à Aden, de la convoyer à Djibouti à bord d’un Blenheim, pour le monter sur le bombardier endommagé. Le sergent-chef Cunibil supervise l’opération.

Malgré ce contretemps, le No.1 French Bomber Flight enchaîne les missions de reconnaissance et de mitraillage, notamment dans la région du Somaliland, où les maigres troupes britanniques sont à la peine face aux forces italiennes. C’est au-cours de l’une d’elles que les FAFL obtiendront leur première victoire aérienne.

Le 16 août 1940, l’adjudant-chef Trécan, aux commandes du Glenn Martin 107 n°102, [avec, à bord, le capitaine Dodelier, le sergent-chef Cunibil et le sergent Portalis] aperçoit un bombardier italien, qu’il prend pour un Caproni, mais qui était en réalité un Savoia-Marchetti SM.79 du 44° Gruppo [*].

La suite est racontée par le sergent-chef Cunibil :

« [Trécan] l’attaqua et l’abattit avec 240 cartouches. Comme il avait tiré de très près, il se mit en piqué pour éviter le Caproni, pratiquement à la verticale. Et Portalis, croyant que le Glenn avait été touché – il n’avait encaissé que quelques balles qui ne causèrent pas de dégâts – sauta en parachute. Il tomba près d’une unité anglaise qui se repliait sur Aden et fut de retour quelques jours plus tard. »

Gravement touché, le Savoia-Marchetti SM.79 laisse traîner derrière lui une épaisse fumée, avant d’exploser. Il s’agit de la première victoire aérienne française depuis l’armistice du 22 juin 1940. Mais, même si elle a été annoncée à la BBC, il semblerait que la RAF ne l’ait pas officiellement homologuée. Ce qui, sans doute, explique qu’elle soit tombée dans un [relatif] oubli. Tout comme d’ailleurs l’adjudant-chef Trécan [alias John Gallipot], dont on sait qu’il était né à Rennes en 1911 et qu’il avait entamé sa carrière militaire en 1929.

L’histoire des deux Glenn Martin du No.1 French Bomber Flight [FBF] prendra dramatiquement fin au cours des semaines suivantes. Le 8 septembre 1940, le n°82 est abattu par un chasseur italien Fiat CR42, avec, à son bord, le capitaine Ritoux-Lachaud, l’adjudant-chef Roland, le sergent Lobato de Faria et le lieutenant de Maismont. Seul ce dernier survivra et sera fait prisonnier par les Italiens.

Quant au n°102, il connaîtra un sort identique, le 16 décembre 1940, lors de 44e mission de guerre. Ce jour-là, le Glenn Martin, piloté par l’adjudant-chef Trécan, sera abattu par deux chasseurs italiens. Seul le sergent-chef Cunibil s’en sortira, après avoir réussi à s’extraire de l’appareil en flamme.

Ce dernier raconte : « Pendant toute ma descente, un chasseur tourna autour de moi sans, d’ailleurs, aucune hostilité. Et je me posai dans la plaine de Mello, à trois kilomètres de voie ferrée de Djibouti-Addis Abeba. Là, je fus capturé par des mitrailleurs italiens qui me confièrent au chef de gare de Mello. Dans l’après-midi, une voiture dans laquelle avait pris place un colonel de l’armée de l’air italienne et un capitaine des carabiniers, vint me chercher à la station pour me conduire à la base de Dire Dawa où je fus traité très correctement et pus discuter au mess des sous-officiers avec le pilote qui nous avait abattus : le sergent-major Athos Tieghi ». [**]

[*] Aerojournal n°33 – Octobre/novembre 2003

[**] Revue ICARE – Les FAFL – tome 1 – 1989

Photo : Glenn Martin 167F, similaire à ceux du No.1 French Bomber Flight [domaine public]

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