Biélorussie : Le président Loukachenko accuse Moscou d’avoir voulu organiser un « massacre » à Minsk

Déjà très proches, la Biélorussie et la Russie auraient pu aller encore plus loin en formant une sorte de confédération, comme les y invitait un traité signé en 1999. Seulement, craignant de perdre la main, le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, à la tête du pays depuis 1994, n’a pas voulu aller dans cette voie. Et les discussions de décembre dernier à ce sujet se sont terminées par de nouvelles déclarations d’intention et des promesses. Sans plus.

Aussi, Moscou a alors revu les facilités économiques jusqu’alors accordées à Minsk, notamment s’agissant du pétrole. Ce qui n’a pu que mettre l’économie biélorusse en difficulté… tout en suscitant du mécontentement au sein de la population. Et l’opposition au président Loukachenko a pris de la vigueur… alors qu’il doit remettre son mandat en jeu le 9 août prochain.

D’ordinaire, la réélection de M. Loukachenko est une formalité [il a recueilli, en moyenne, 75 à 80% lors des derniers scrutins] : les opposants les plus sérieux sont soit embastillés, soit interdits de se présenter et la sincérité des élections sont sujettes à caution.

Pour celle à venir, deux candidats ont été mis sous les verrous au cours de ces dernières semaines, dont Viktor Babaryko, soupçonné de « blanchiment d’argent » et de « fraudes », via la banque Belgazprombank, la filiale du géant gazier russe Gazprom qu’il a dirigée, et Sergueï Tikhanovski, un militant « anti-corruption », accusé de « troubles à l’ordre public ».

Un troisième, Valeri Tsepkalo, un ancien diplomate de haut rang dont la candidature a été rejeté, est parti en exil à Moscou « avec ses enfants par crainte pour sa sécurité », laissant tout de même son épouse, Veronika Tsepkalo, participer à la campagne de Svetlana Tikhanovskaïa, désormais principale opposante de M. Loukachenko après avoir pris le relais de son mari.

Évidemment, on peut imaginer que la fraude électorale permettra au pouvoir en place de se maintenir aisément. Pour autant, cela ne mettra pas un terme aux protestations. Et la situation pourrait même devenir incontrôlable. Et c’est donc dans ce contexte qu’est survenue l’arrestation, sous l’oeil des caméras, de 33 mercenaires de la société militaire privée russe Wagner, proche du Kremlin, dans un hôtel des environs de Minsk, le 29 juillet.

Le Comité de la sécurité d’État de la République de Biélorussie [KGB] a alors accusé ces « mercenaires » de préparer des « actes terroristes » et de fomenter des « émeutes de masse » pour renverser le président Loukachenko. En outre, 200 autres seraient encore dans la nature, selon lui.

Cette affaire suscite quelques interrogations. D’abord, et d’après les images de leur arrestation, les mercenaires en question semblaient être équipés pour intervenir dans un pays « chaud » [Afrique du Nord ou Syrie]. En outre, ils n’ont rien fait pour passer inaperçus. D’autant plus que Minsk sert généralement de base de transit aux sociétés de « sécurité » russes.

Dans le même temps, les explications données par Moscou changent au gré des circonstances. Ainsi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a expliqué que ces ressortissants russes avaient manqué leur avion pour Istanbul… Plus tard, Kirill Pletnev, un diplomate affecté à l’ambassade russe à Minsk, cité par l’agence de presse RIA, a déclaré qu’ils devaient partir vers « un pays d’Amérique latine ».

Quoi qu’il en soit, le 3 août, Vladimir Semashko, l’ambassadeur biélorusse en poste à Moscou, a été reçu par Gregory Karasin, vice-ministre russe des Affaires étrangères. Et il est rapporté dans le compte-rendu de cette rencontre que la « partie russe a déclaré que l’arrestation de citoyens russes, effectuée sous un prétexte sans fondement et tiré par les cheveux, ne correspondait pas à l’esprit des relations fraternelles alliées entre les deux pays et peuples » et que la « Russie n’a jamais interféré et ne va pas s’ingérer dans les processus internes d’autres États, en particulier en Biélorussie, qui est notre ami et allié le plus proche. »

Pour autant, le président Loukachenko n’en démord pas. Et il s’est livré à une nouvelle charge contre Moscou, ce 4 août. Ainsi, il n’a aucun doute sur le but des mercenaires russes arrêtés la semaine passée.

« La tentative d’organiser un massacre au centre de Minsk est évidente », a-t-il affirmé, lors d’un discours à la nation, avant d’accuser la Russie de « mensonge », assurant que les mercenaires présumés de la SMP Wagner auraient « tout raconté ».

« C’est des mensonges : sur Istanbul, sur le Venezuela, l’Afrique et la Libye. Ces gens ont avoué, ils ont été envoyés spécialement en Biélorussie », a soutenu M. Loukachenko, qui a aussi évoqué une « autre unité » envoyée dans le sud du pays. « On doit la pourchasser dans les forêts et l’attraper », a-t-il insisté.

« Vous êtes en retard d’un quart de siècle, nous sommes ancrés fermement dans l’avenir, nous ne vous abandonnerons pas le pays. L’indépendance ça coûte cher, mais elle en vaut le coût », a encore ajouté le président biélorusse, en faisant apparemment référence à la Russie.

Puis, M. Loukachenko s’en est pris à Svetlana Tikhanovskaïa, ainsi qu’à ses alliées, dont l’ex-directrice de campagne de Viktor Babaryko et l’épouse de Valeri Tsepkalo. « Elles ne comprennent rien de ce qu’elles disent, de ce qu’elles font. […] On ne dirige pas un pays en sortant de nulle part, » a-t-il dit, en les qualifiant de « marionnettes aux mains de manipulateurs » [russes].

Reste à voir comment Alexandre Loukachenko va se sortir de cette situation… Une brouille avec la Russie fera que Moscou ne lèvera pas le petit doigt pour soutenir l’économie biélorusse s’il se maintient au pouvoir. En outre, il sera toujours aux prises avec un mécontentement qui, aux dires des observateurs, prend de plus en plus d’ampleur.

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