Biélorussie : M. Loukachenko prend le risque de se fâcher avec Moscou pour redorer son blason

Depuis qu’il est à la tête de la Biélorussie, le président Alexandre Loukachenko est confortablement réélu à chaque élection, obtenant en moyenne 75 à 80% des voix, face à une opposition muselée, ses principaux dirigeants étant embastillés avant chaque scrutin. Le 9 août prochain, il remettra donc son mandat en jeu et affrontera notamment Svetlana Tsikhanovskaïa, qui a pris le relais de son mari, Sergueï Tikhanovski, mis sous les verrous en mai dernier pour « troubles à l’ordre public ». Un autre candidat, Viktor Babaryko, a connu le même sort, mais pour des raisons différentes étant donné qu’il a été accusé de « fraudes » et de « blanchiment d’argent », via la banque Belgazprombank, filiale du géant gazier russe Gazprom.

Seulement, la situation actuelle est différente par rapport aux années passées. Les discussions sur une éventuelle unification avec la Russie, prévue par un traité signé en 1999, ont échoué en décembre dernier, M. Loukachenko ayant finalement refusé d’aller dans cette voie… tout en amorçant un timide rapprochement avec les États-Unis. Seulement, sur le plan économique, la Biélorussie dépend de son voisin russe, qui, jusqu’alors, lui vendait du pétrole à un tarif préférentiel, afin de lui permettre ensuite de le raffiner et de réexporter vers l’Europe. En janvier, Moscou a décidé de revoir ce dispositif très avantageux pour Minsk…

Ces difficultés économiques nourrissent le mécontement au sein de la population. « Et jamais depuis 1989 il n’a été aussi élevé », a ainsi noté le journaliste et analyste biélorusse Franak Viacorka, dans les colonnes du Journal du Dimanche. Chose rare à Minsk : le 30 juillet, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté pour soutenir Svetlana Tsikhanovskaïa.

C’est dans ce contexte qu’est survenue l’étrange affaire de la trentaine de « mercenaires » russes arrêtés sous l’oeil de caméras dans un hôtel des environs de Minsk. Et, selon les autorités biélorusses, l’enquête ouverte par le KGB [Comité de la sécurité d’État de la République de Biélorussie] aurait déterminé qu’ils préparaient des « actes terroristes » et fomentaient des « émeutes de masse » pour renverser le président Loukachenko. Certains d’entre-eux seraient même passés aux aveux. En outre, 200 autres seraient activement recherchés.

Seulement, pour Mme Tikhanovskaïa, cela relève de la fable étant donné que le pouvoir n’a fait qu’arrêter des mercenaires russes qu’il laisse généralement « utiliser la Biéolorussie comme une base de transit » vers d’autres destinations [Syrie, Afrique, ndlr]. « Personne ne peut croire que ces combattants nous ont été envoyés pour les élections. Qu’ils voulaient faire une révolution ici », a-t-elle insisté. Et, effectivement, les images de leur arrestation suggèrent qu’ils n’avaient pas l’intention de rester à Minsk dans la mesure où ils étaient équipés pour partir vers des pays « chauds ».

La Russie était-elle de mèche avec le pouvoir biélorusse? Le temps qu’elle a mis à réagir pouvait le laisser supposer. Mais « il semble aujourd’hui que les Russes aient simplement été pris par surprise », a estimé Tadeusz Giczan, spécialiste de la Biélorussie à l’Ecole d’études slaves et est-européennes de l’University College de Londres, selon Libération. « Le 31 juillet, [Vladimir] Poutine a convoqué le conseil de sécurité et la frontière avec la Biélorussie a été fermée. La réaction a été lente à arriver mais elle se met en place », a-t-il aussi relevé.

« Nous espérons que nos alliés biélorusses vont expliquer cet incident dans les plus brefs délais et que nos citoyens seront libérés », a par ailleurs déclaré Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, estimant « sans fondement » les arrestations de ces ressortissants russes. Ces derniers, a-t-il admis, travaillent bien pour une « société de sécurité privée » [sans toutefois la nommer]. « Ils ont pris l’avion en transit vers Istanbul et sont restés en Biélorussie parce qu’ils avaient raté leur vol. Leur séjour n’a rien à voir avec les affaires biélorusses », a-t-il expliqué à l’agence TASS, le 31 juillet.

Au passage, que leur destination ait été la Turquie peut paraître curieux… « Il est clair que ce groupe avait d’autres objectifs. Et le but de l’enquête est de les découvrir », a d’ailleurs commenté M. Loukachenko. « Leurs témoignages [celui des mercenaires arrêtés, ndlr] sont incohérents et contradictoires sur leurs intentions en Biélorussie, contradictoires. 11 d’entre-eux avaient l’intention de prendre l’avion pour le Venezuela, 15 pour aller en Turquie, 2 à Cuba et 1 en Syrie. […] Trois ont refusé de témoigner. Il semble douteux qu’il soit possible de voler vers des pays de différents continents dans un seul avion régulier », a raconté Alexander Agafonov, le responsable de l’enquête.

Cela étant, M. Peskov s’est également dit « très préoccupé par le fait que les ressortissants russes n’aient pas eu accès aux services de l’ambassade de Russie. « Nous espérons que cela se produira dans un très proche avenir », a-t-il dit.

En outre, et comme certains de ces mercenaires ont combattu aux côtés des séparatistes pro-russes dans le Donbass [sud-est de l’Ukraine], Kiev a demandé leur extradition. « Selon les informations disponibles après avoir interrogé ces personnes, environ 14 d’entre-elles sont sur la liste de surveillance, elles sont allées dans le Donbass. C’est pourquoi l’ambassadeur d’Ukraine sera invité à en discuter », a fait savoir Andrei Ravkov, le secrétaire d’État du Conseil de sécurité biélorusse.

Quoi qu’il en soit, en 2017, lors des manifestations contre la mise en place d’une taxe de 200 dollars pour ceux qui travaillaient moins de six mois par ans, le pouvoir biélorusse avait eu recours à un expédient similaire, affirmant que des nationalistes biélorusses étaient arrivés d’Ukraine pour commettre des attaques terroristes. Ce qui s’est révélé faux.

Mais en s’en prenant à Moscou à quelques jours de l’élection présidentielle [dont la sincérité n’est absolument pas garantie], on peut s’interroger sur l’objectif de M. Loukachenko…

En attendant, il semblerait que Minsk ait envoyé des troupes à la frontière avec la Russie. Tel est, en tout cas, ce que suggère une vidéo qui, diffusée par le journal russe Novaya Gazeta, montre un convoi de blindés de transport de troupes. Son authenticité ne peut pas être confirmée à ce stade.

Sur d’autres images, publiées deux jours plus tôt, ont peut voir des militaires biélorusses installer des tentes le long de l’autoroute M1, la principale du pays qui relie la Russie et la Pologne.

Pour Franak Viacorka, « tous les scénarios sont envisageables. Pour effrayer et démobiliser les électeurs, Loukachenko pourrait décréter l’état d’urgence la veille du scrutin et organiser le vote sous surveillance des militaires », a-t-il confié au JDD.

Photo : Présidence biélorusse

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