Quel nom pour le prochain porte-avions de la Marine nationale?

Les choix concernant le futur porte-avions de la Marine nationale auraient dû être validés le 8 juillet, lors d’un conseil de défense, puis faire l’objet d’une annonce par le président Macron à l’occasion du 14-Juillet. Seulement, le changement de gouvernement a bouleversé ce calendrier… Et l’on s’attend désormais à en savoir plus à la faveur du plan de relance de l’économie; dont les détails seront connus en septembre.

Cela étant, et d’après les éléments qui ont été avancés au cours de ces derniers mois, on sait que ce porte-avions de nouvelle génération sera presque deux fois plus imposant [il est question de 70.000 tonnes] et mieux armé que son prédecesseur, qu’il sera doté de catapultes électro-magnétiques et qu’il aura la capacité de « lancer et de ramasser » ses aéronefs. Enfin, même si la populsion classique a connu un regain d’intérêts ces derniers mois, tout plaide pour qu’il soit équipé de nouvelles chaufferies nucléaires plus puissantes que les deux de type K-15 du « Charles de Gaulle ».

Quoi qu’il en soit, une autre question finira pas se poser tôt au tard : quel sera le nom que portera le futur navire amiral de la Marine nationale? Et ce genre d’exercice est toujours compliqué, d’autant plus des considérations politiques peuvent toujours entrer en ligne de compte. Ainsi, l’actuel porte-avions aurait dû s’appeler « Richelieu ». Mais le nom du ministre de Louis XIII, créateur de la Marine royale, fut finalement abandonné pour celui du général Charles de Gaulle à la faveur du changement de majorité en 1986.

Même chose pour les trois premiers sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de la classe Rubis auraient dû s’appeler « Provence, « Bretagne » et « Bourgogne ». Mais, en 1981, il en fut décidé autrement, en leur attribuant des noms de pierres précieuses [seule exception : le Casabianca, qui devait prendre le nom d' »Aigue-Marine »].

Comme l’explique le site Actualité Maritime, une liste de propositions de noms pour un nouveau navire est transmise par l’Officier de Programme au Service Historique de la Défense, lequel transmet ensuite un avis au chef d’état-major des armées [CEMA]. Ce dernier fait une proposition au ministre des Armées, qui aura le dernier mot.

En règle générale, les noms proposés entrent dans cinq catégories : milieu naturel [exemple : Mistral, Tonnerre, Glycine, Améthyste], les vertus [Le Vigilant, la Confiance, le Téméraire, etc], la cohésion de la Nation [Aquitaine, Bretagne, Languedoc, etc], la reconnaissance [nom d’un fait historique, comme pour le Dixmude, d’un grand personnage historique ou d’un grand marin] et le rayonnement de la France [ainsi que l’évocation de la République, avec les Floréal, Germinal, Nivôse, etc].

Sous la monarchie de Juillet, le Second Empire et la IIIe République, il y avait une certaine créativité en la matière… En particulier au début du XXe siècle, la mythologie ayant été une source d’inspiration inépuisable [Pomone, Eurydice, Aréthuse, Calypso, etc]. En outre, des noms d’illustres scientifiques – français et étrangers – furent donnés à des sous-marins [le Fulton, le Laplace, le Newton, le Bernoulli, etc]. Et si l’on a même plusieurs navires appelés « Jules Verne » [ainsi que des croiseurs cuirassés « Victor Hugo », « Ernet Renan » et « Jules Michelet »], les arts et lettres ont cependant été oubliés.

Aux États-Unis, les porte-avions portent souvent les noms de personnalités qui ont joué un rôle éminent dans l’histoire de l’US Navy ou sur la scène politique. Ce qui peut avoir son revers : récemment, les sympathisants du mouvement Black Lives Matters ont soutenu l’idée de débaptiser les USS John C Stennis et Carl Vinson, appelés ainsi en hommage à deux élus démocrates du Congrès pourtant opposés au mouvement des droits civiques.

Aussi, pour le prochain porte-avions français, la première idée qui vient à l’esprit serait de lui donner le nom d’un président de la République, vivant ou non. Logiquement, après le « Charles de Gaulle » viendrait le « Georges Pompidou ». Le « François Mitterrand » pourrait tenir la corde, mais sans doute moins que le « Jacques Chirac », qui, pour le coup, s’était investi pour doter la Marine de deux porte-avions durant ses deux mandats. Projet qui fut abandonné par son successeur, Nicolas Sarkozy.

L’idée de baptiser ce future navire « Valéry Giscard d’Estaing » n’est pas à écarter, d’autant plus que l’ex-président, fervent européen, fut à l’origine du programme qui donna lieu au « Charles de Gaulle » [et que trois navires ont déjà porté le nom de ‘d’Estaing’, en référence à l’amiral d’Estaing, ndlr]

Au registre politique, et pour insister sur la dimension européenne que pourrait prendre le groupe aéronaval qui sera formé autour de ce nouveau porte-avions, on peut penser à « Charlemagne » [dont le nom avait déjà circulé dans les années 2000, malgré la « division » du même nom, de sinistre mémoire], à « Jean Monnet » ou à « Robert Schuman ». Plus consensuel, sans doute, le nom « Europe » ou « Europa » pourrait s’imposer. Comme celui de « Liberté », qui sera fédérateur.

Seulement, choisir le nom d’une personnalité politique pour baptiser un navire est toujours source de polémiques [comme le montre le cas des USS John C. Stennis et Carl Vinson]. Et la Marine nationale n’y a eu recours qu’en de rares occasions [Georges Clemenceau et Charles de Gaulle pour ses porte-avions et Leon Gambetta, Jules Ferry et Waldeck-Rousseau pour des croiseurs cuirassés].

Aussi, l’idée de donner le nom d’un marin illustre au futur porte-avions n’est pas à écarter. Chef des Forces navales françaises libres [FNFL] durant la Seconde Guerre Mondiale, l’amiral Émile Muselier aurait pu faire partie des candidats s’il n’avait pas entretenu des rapports compliqués avec le général de Gaulle. Le nom de l’amiral Georges Thierry d’Argenlieu pourrait être considéré. Mais le « moine soldat » du gaullisme a des détracteurs… ces derniers l’accusant d’avoir une responsabilité dans le déclenchement de la guerre d’Indochine.

On peut aussi songer au capitaine de frégate Honoré d’Estienne d’Orves, Compagnon de la Libération, fusillé au Mont-Valérien en août 1941. Mais il a déjà donné son nom à une classe d’aviso. Autre héros de la Seconde Guerre Mondiale : l’amiral Philippe de Scitivaux [de Greische], qui s’est illustré durant la Bataille d’Angleterre. Jusqu’à présent – et sauf erreur – jamais un pilote de l’aéronavale n’a donné son nom à un navire de la Marine nationale. Ce serait peut-être l’occasion de réparer cet oubli.

À moins qu’un autre marin pilote ne s’impose. En effet, le contre-amiral Henri Nomy, héros de la campagne de France et résistant, fut à l’origine du programme dota la France des porte-avions Foch et Clemenceau, mais aussi d’un croiseur, d’un porte-hélicoptères et de 54 escorteurs, de dragueurs, de bâtiments auxiliaires. Et cela, souligne Étienne Taillemite, dans son Dictionnaire des marins français, « grâce son habileté politique et diplomatique, à sa ténacité, à une remarquable continuité de vues, grâce aussi à l’estime et à la sympathie qu’il avait su se concilier. »

Une autre « tradition », si l’on peut dire, est de donner les noms de région, de province ou de ville aux navires de la Marine. Étant donné que le « Charles de Gaulle » est jumelé avec Paris, le futur porte-avions pourrait s’appeler « Ville de Paris », ou « Île de France », la région francilienne n’ayant pas pu donner son nom à une frégate multimissions de type Aquitaine.

Ou alors, la Marine nationale pourrait revenir aux sources choisir le nom de « Béarn », en souvenir du premier porte-avions vraiment opérationnel qu’elle a mis en oeuvre à partir de 1928 [le « Bapaume », un aviso transformé, ne peut pas prétendre à ce titre : il ne pouvait porter qu’un seul avion]. Enfin, une dernière possibilité consisterait à reprendre le nom d’Arromanches ou celui de Bois-Belleau, des missions du groupe aéronavale ayant été appelées ainsi au cours de ces dernières années.

MàJ : Ajout des noms « Europe » et « Liberté parmi les possibilités.

Photo : archive

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