Industrie de défense : Avec la crise, Mme Parly s’attend à une concurrence exacerbée à l’exportation

En 2019, le montant des prises de commandes auprès de l’industrie française de défense s’est élevé à 8,33 milliards d’euros [contre 9,1 milliards pour l’année précédente, ndlr], ce qui reste très honorable dans la mesure où aucun contrat « Rafale » n’a été signé. Au moins deux éléments expliquent ce résultat : la très bonne performance du secteur naval, qui pèse pour 50% dans ce résultat, et la progression des acquisitions faites par des pays européens [Belgique, Hongrie et Espagne notamment].

Qu’en sera-t-il pour cette année? Sans être prophète, et compte tenu de la crise économique provoquée par l’épidémie de covid-19, les résultats devraient être très en deçà de ceux obtenus en 2019. « Je ne pense pas faire excès de prudence en vous disant que l’année 2020 sera moins bonne », a d’ailleurs affirmé Florence Parly, la ministre des Armées, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 7 juillet [le compte-rendu vient d’être mis en ligne, ndlr].

Ainsi, pour le moment, aucun contrat majeur n’a été signé et la crise a « retardé la prise de décision », c’est à dire que des commandes qui auraient pu se concrétiser en 2020 « ne le seront probablement qu’en 2021, année où l’on pourra constater, comme dans bien des domaines, un rattrapage », a dit la ministre. En outre, a-t-elle ajouté, « si des pays peuvent confirmer leur volonté de faire croître l’effort de défense, d’autres feront le choix inverse. »

Qui plus est, a aussi souligné Mme Parly, « il faut avoir avoir conscience du fait que, si la crise sanitaire affecte nos économies, elle modifie aussi profondément les comportements des décideurs publics ». Et cela « aura une incidence directe sur nos exportations : nos partenaires étrangers seront encore plus exigeants et plus attentifs aux retours industriels de leurs investissements en matière de défense », a-t-elle estimé.

Et si le marché se réduit et/ou si les clients éventuels se montrent encore plus exigeants, alors la concurrence entre les principaux pays exportateurs s’en trouvera exacerbée. Et « je ne serais pas étonnée que l’on constate une tendance croissante au repli sur soi », a complété la ministre.

« Cela ne doit nous conduire ni au fatalisme, ni au découragement, bien au contraire. Nous nous sommes d’ores et déjà mis en ordre de bataille pour soutenir nos entreprises et les accompagner à l’export. Les partenariats que nous avons noués à l’international sont solides. Face à des menaces croissantes, nos partenaires savent qu’ils ne devront pas baisser la garde et qu’ils peuvent compter sur la France », a cependant assuré Mme Parly. D’où l’importance du plan de relance, qui sera précisé en septembre… et sur lequel comptent de nombreuses entreprises de la Base industrielle et technologique de Défense [BITD], qui risquent de connaître de très graves difficultés à l’automne.

Pour autant, la ministre estime que le contexte stratégique actuel incitera « certains pays » à « maintenir leurs investissements en matière de défense ».

« Y a-t-il un risque de substitution, dans le contexte de compétition très vive que nous connaissons, entre des importations dont le prix peut être élevé et des produits low cost, si je puis dire, vendus sur étagère? », a-t-elle demandé. Ce n’est pas exlu… mais, a dit Mme Parly, « je reste convaincue que certains pays ne feront pas leurs choix au détriment du format des armées et des performances des équipements. »

Ainsi, a-t-elle relevé, « en Autralie, la décision a été prise est d’augmenter l’effort de défense face à une menace chinoise qui ne se dément pas » et « même si l’Inde a réaffirmé sa volonté de développer sa propre industrie de défense, je pense que ce pays restera un partenaire avec lequel la France continuera à mener des coopérations, notamment dans le domaine industriel ».

Par ailleurs, il faut s’attendre à une concurrence encore plus vive de la part des États-Unis. « Notre partenaire américain est un concurrent qui reste agressif, voire le devient davantage. La situation, que j’ose qualifier de catastrophique, de Boeing incite l’entreprise à se montrer plus offensive encore à l’exportation. Et s’agissant de l’utilisation des outils extraterritoriaux [comme le réglement ITAR, ndlr], nous ne constatons, hélas, aucune amélioration », a expliqué Mme Parly.

Ces dernière semaines, Boeing a décroché plusieurs commandes, dont 144 F-15EX pour l’US Air Force, la modernisation des F-15J au Japon ou encore 45 F/A-18 Super Hornet pour l’Allemagne [qui reste à signer, ndlr]. L’industriel américain est compétition avec Dassault Aviation dans plusieurs appels d’offres, comme en Inde, en Finlande et en Suisse.

Pour contrer la concurrence américaine, le renforcement de l’autonomie stratégique européenne pourrait constituer un levier.

« Nous avons du travail sur ce front, mais aussi des idées et des ambitions : doter le fonds européen de défense d’un budget substantiel, développer les financements européens pour les acquisitions d’équipements de défense, prôner une plus grande régulation du marché intérieur pour favoriser les projets européens sans dépendances extérieures, ou encore, lever les freins à l’exportation s’agissant des capacités développées entre pays européens », a résumé Mme Parly. « La ressource, nous l’avons ; il s’agit à présent de la convertir en moyens, et surtout d’avoir la volonté d’utiliser ces moyens au service des intérêts et des valeurs de l’Europe », a-t-elle ajouté.

Seulement, les ambitions en la matière ont été réduites à l’occasion du récent l’accord trouvé par les chefs d’État et de gouvernement des 27 pays membres sur le Cadre financier pluriannuel et le plan de relance. Alors que la France plaidait pour porter le montant du Fonds européen de défense [FEDef] à peu plus de 13 milliards d’euros, il faudra se contenter d’environ la moitié… Et ce n’est donc pas le « budget ambitieux » que Mme Parly avait appelé de ses voeux lors d’une audition devant la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen.

Aussi, certains projets élaborés dans le cadre de la Coopération structurée permanente [CSP/PESCO] risquent fort de ne pas voir le jour, étant donné qu’une « revue stratégique » est en cours pour retenir les plus avancés et/ou les plus prometteurs. L’un d’eux, cité appelé MAC-EU, vise ainsi à « développer la Base Technologique et Industrielle de Défense Européenne (EDTIB) dans le domaine des technologies des matériaux et composants, en particulier celles pour lesquelles la sécurité d’approvisionnement et la liberté d’utilisation peuvent être restreintes. »

Il s’agit de « s’affranchir des ruptures d’approvisionnement en composants et matériaux critiques qui ne sont pas fabriqués ou conçus au sein de l’UE », a fait valoir la ministre. « Cela veut dire aussi regagner un peu de souveraineté : on ne le dit pas comme ça, car certains risqueraient d’avoir les oreilles qui leur tintent, mais il s’agit bien de favoriser une moindre dépendance vis-à-vis de partenaires non-européens », a-t-elle conclu.

Photo : armée de l’Air

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