Covid-19 : Faute de plan de relance, l’automne risque d’être meurtrier pour l’industrie française de l’armement

Ce n’est pas l’été mais l’automne qui risque d’être meutrier pour la base industrielle et technologique de défense [BITD] française. Tel est l’avertissement que viennent de lancer les députés Benjamin Griveaux et Jean-Louis Thiériot, chargés de conduire une « mission flash » au nom de la commission de la Défense. Et leurs conclusions rejoignent d’ailleurs en grande partie celles avancées la semaine passée par les sénateurs Pascal Allizard et Michel Boutant, pour qui « l’écosystème » de l’industrie de l’armement est en « danger », avec le risque de perdre irrémédiablement des compétences et des savoir-faire indispensables à l’autonomie stratégique de la France.

Ainsi, les deux députés parlent du risque d’un « effet de falaise » dès la rentrée. Plusieurs menaces planent en effet sur de nombreuses ETI/PME de la BITD française, souvent méconnues malgré leur importance dans la chaîne d’approvisionnement de équipements militaires proposés par les grands groupes du secteur. Et la situation sera très critique pour les entreprises spécialisées dans l’aéronautique, en raison des incertitudes liées à l’avenir du transport aérien civil.

D’après MM. Griveaux et Thiérot, « nombre de PME se trouvent dans une situation de trésorerie critique ». Pour le seul Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales [GIFAS], environ 25% des TPE aéronautiques « ont un bilan négatif depuis
déjà deux ans au moins », ce qui dissuade les banques de « prendre à leur compte les 10% du risque de crédit qui leur reviennent dans le dispositif de prêts garantis par l’État. » Et une cinquantaine de PME ont fait part de difficultés pouvant les mener vers le dépôt de bilan à plus ou moins brève échéance.

La chaîne de production du Rafale suscite ainsi des inquiétudes, alors qu’un « trou » dans le plan de charge est apparu, faute de nouvelles commandes à l’exportation. Le rapport cite trois PME en difficulté : Elvia PCB [circuits imprimés], Realmeca [usinage de haute précision pour pièces métalliques], et Novatech Technologie
[cartes électroniques].

D’autres secteurs sont affectés. Les rapporteurs évoquent le risque de défaillance d’un fournisseur de moteurs électriques « indispensables à la fabrication des tourelleaux télé-opérés », ce qui, s’il venait à se concrétiser, pourrait « gripper » le programme SCORPION de l’armée de Terre. La situation des aciéristes qui fournissent les matériaux indispensables à l’industrie navale [comme Aubert et Duval] ou encore celle des Constructions navales et industrielles de la Méditerranée (CNIM), qui fabriquent les silent blocks des sous-marins, est préoccupante.

Plusieurs facteurs font que l’automne sera difficile pour les industriels. En premier lieu, si ces derniers ont pu tenir le « choc » lors du confinement décidé en mars dernier, grâce à la mise en place de plans de continuité en relation avec la Direction générale de l’armement [DGA] et la non remise en cause des contrats en cours, la fin des aides publiques dont ils ont pu bénéficier, l’obligation de rembourser les prêts que certains ont souscrits durant cette période et la perspective d’une seconde vague de l’épidémie de covid-19, avec le maintien des mesures sanitaires strictes, constituent un cocktail potentiellement explosif.

Déjà, l’application de ces mesures sanitaires se sont traduites par une hausse de 10% à 20% des coûts de production. Ce qui se double par des « pertes de productivité inhérents au télétravail », qui risque d’être maintenu en cas de nouvelle vague épidémique, préviennent les rapporteurs. En clair, la compétitivité en prend un coup, sur fond d’incertitudes concernant l’exportation.

« Il est aujourd’hui très difficile de savoir si les prospects gelés par la crise sont simplement remis à plus tard, ou si les programmes risquent d’être annulés par les États clients en raison de
tensions budgétaires post-crise », soulignent MM. Griveaux et Thiériot. Qui plus est, la perte de compétitivité causée par la hausse des coûts de production n’aidera évidemment pas à conquérir de nouveaux marchés, d’autant que « selon l’ensemble des industriels interrogés […], c’est en France que l’activité industrielle a été le plus perturbée par la crise, à la différence notable de nos voisins du nord de l’Europe. »

Dans le même temps, la concurrence n’est pas restée les deux pieds dans le même sabot. « Avec la crise, nos concurrents se sont employés à démarcher activement les clients de l’industrie française. La crise survient d’ailleurs sur fond d’émergence de concurrents nouveaux, notamment dans les domaines où le ‘ticket d’entrée’ technologique est le moins élevé : l’armement terrestre et la construction navale », constatent les deux rapporteurs.

Et certaints de ces mêmes concurrents bénéficient déjà de plans de soutien sectoriels, comme en Allemagne [10 milliards d’euros] et aux États-Unis, où les « dollars pleuvent » sur les industriels de l’armement.

En outre, un trou d’air dans les prises de commandes en 2020 aurait des conséquences pendant plusieurs années, avec notamment une baisse importante du chiffres d’affaires [ce qui signifie moins d’investissement… et donc moins de compétitivité].

Aussi, et à l’instar de leurs homologues du Sénat, MM. Griveaux et Thiérot plaident pour un plan de relance massif au profit de la BITD française. « Autant qu’une faute stratégique, ne pas mobiliser l’industrie de défense comme vecteur de relance serait une erreur économique », avancent-ils.

Il n’est pas question de reproduire le plan de soutien à l’aéronautique annoncé en juin dernier. S’il profite [un peu] aux armées, avec la commande 8 hélicoptères Caracal et l’accélération de certaines commandes, les rapporteurs estiment qu’il s’agit plus d’un « intrument de la politique de rebond, c’est à dire l’expression d’un choix consistant pour l’État à ne pas ‘ajouter de la crise à la crise’ par une réduction procyclique de ses dépenses d’investissement en 2020 ». En clair, il tient plus d’une rustine [avec des hypothèses optimistes] qu’autre chose.

Pour les députés, un plan de relance au bénéfice de la BITD doit « préserver une industrie dont l’existence comme l’excellence entrent pleinement dans ses intérêts stratégiques ». Et d’insister sur le fait qu’il est préférable de « prévenir la perte de capacités industrielles souveraines et critiques que peiner plus tard – souvent en vain – pour la pallier. » Et d’insister : « Un appui ponctuel à un industriel critique est généralement moins coûteux qu’un effort – assurément laborieux mais toujours incertain – de reconquête d’une compétence industrielle que l’on aurait laissé disparaître. »

En outre, les rapporteurs ont mis en avant « le multiplicateur keynésien » des dépenses de défense. « En tout état de cause, il paraît clair qu’à long terme, c’est-à-dire au-delà de cinq ans, les
dépenses d’armement ont un effet multiplicateur plus favorable que la plupart des autres dépenses, car il s’agit de dépenses d’investissement, et non de fonctionnement [et] elles vont à des industriels français, dont la production comme les supply chains sont presque exclusivement françaises. » Et, selon la DGA, « le
nombre d’emplois créé s’établit entre 7 et 7,5 emplois directs par
million d’euros investi dans l’armement. »

Reste à voir comment pourrait se concrétiser un tel plan de relance. Les rapporteurs se défendent de proposer une « liste du père Noël » au profit des armées. Cependant, en plus d’un soutien indispensable  à l’innovation, via les bureaux d’études, ils parlent notamment de commander une vingtaine d’avions Rafale supplémentaires [un voeu exprimé par la Marine nationale et l’armée de l’Air], lancer au plus tôt la construction du porte-avions [nucléaire] de nouvelle génération, accélérer le remplacement des matériels obsolètes, dont l’entretien devient de plus en plus coûteux [comme, par exemple, les camion GBC 180 de l’armée de Terre] ainsi que certaines commandes [patrouilleurs, avions de surveillance maritime] ou encore accentuer le programme SCORPION dans certains domaines et refaire le stock des munitions ainsi que de pièces détachées.

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