Les députés britanniques se préoccupent de l’avenir des flottes de véhicules blindés de la British Army

Éreintée par des engagements durs en Afghanistan et en Irak, la British Army a dû affronter les coupes budgétares imposées dans le cadre des revues stratégiques de 2010 et de 2015, lesquelles ont consisté, pour les forces britanniques, à « déshabiller Pierre pour habiller Jacques » afin de financer, à enveloppe constante, des programmes jugés prioritaires comme le renouvellement des sous-marins nucléaires de la Royal Navy, l’acquisition de deux porte-avions ou encore celle d’avions F-35.

« La British Army est la traîne par rapport à la Royal Navy et à la Royal Air Force  » et elle « ne peut pas obtenir ce dont elle a besoin », avait déploré l’un de ses responsables dans les colonnes du Times, l’an passé.

Cela va-t-il changer à la faveur de la nouvelle revue stratégique qui, ordonnée en février par le Premier ministre britannique, Boris Johnson, et confiée à Sir Alex Ellis, conseiller adjoint à la sécurité nationale, vise à rédéfinir la politique étrangère du Royaume-Uni en tenant compte du Brexit et évaluer, en conséquence, les priorités en matière de défense?

Même si cette revue doit se doubler d’un examen des dépenses publiques, M. Johnson a laissé entendre que le budget de la Défense pourrait augmenter à l’issue de cet exercice. Et donc aller au-delà de la norme des 2% du PIB fixée par l’Otan [mais avec la crise économique causée par la pandémie de Covid-19, exprimer des montants en pourcentage de PIB n’est pas la chose la plus pertiente qui soit].

Le Royaume-Uni « ne peut pas se reposer sur ses lauriers. Nous devons faire plus pour nous adapter. Nous serons jugés sur la façon dont nous répondrons aux opportunités à venir », a cependant déclaré le chef du gouvernement britannique.

En attendant, sous l’effet des contraintes budgétaires passées, la British Army compte moins de 82.000 soldats [soit moins qu’à l’époque de la guerre des Boers]. Et elle a dû revoir son format en conséquence, et à adapter sa flotte de véhicules blindés à cette situation, via un plan appelé LEFOP [Land Environment Fleet Optimisation Plan].

La British Army « continue de rationaliser ses flottes de véhicules. Les travaux, [qui] ont commencé en 2017 […] ont déjà permis de mettre hors service 2.831 véhicules et d’éliminer un certain nombre de flottes anciennes. Le prochain volet de ce travail vise à retirer du service plusieurs autres types de véhicules comme les Mastiff, Ridgeback et Wolfhound », a indiqué Jeremy Quin, le secrétaire à la Défense chargé des acquisitions, dans une réponse à une question parlementaire.

Au total, et estimant a priori que les opérations de contre-insurrection ne seront plus de mise dans les années à venir, ce sont donc 750 véhicules de type Cougar MRAP [Mine-Resistant Ambush Protected], acquis auprès de Force Protection Inc [racheté par General Dynamics en 2011, ndlr] pour faire face aux menaces des engins explosifs improvisés en Afghanistan et en Irak, qui seront donc retirés de l’inventaire de la British Army, comme l’ont déjà été les engins de déminage Buffalo et les véhicules de patrouille Vixen et Husky. Devraient suivre ensuite, du moins partiellement, les blindés Terrier [utilisé par le Génie] et les Iveco Panther.

Seulement, au cours de ces 30 dernières années, et excepté le char Challenger, les blindés de type MRAP ont été les seuls à avoir été acquis afin de répondre à des besoins exprimés en urgence par la British Army. Le tout pour plus de 3 milliards de livres sterling. Et leur retrait va donc faire augmenter la moyenne d’âge des matériels qu’elle met en oeuvre. Ce qui préoccupe le comité de la Défense de Chambre des communes, qui vient de lancer une mission d’information à ce sujet.

Ainsi, relève ce comité, les blindés de la gamme FV430 ont été mis en service durant les années 1960. Et même s’ils ont été modernisés au fil du temps, leur fin de vie approche. Le véhicule de combat d’infanterie Warrior a été acquis à la fin des années 1980 et le Challenger 2, rappelle-t-il, est « en service depuis environ 20 ans et n’a pas encore vu ses capacités être améliorées significativement, ce qui fait qu’il est actuellement dépassé par les chars d’adversaires potentiels, comme le [T-14] Armata russe ».

Certes, plusieurs programmes sont en cours pour renouveler les blindés de la British Army. Mais ils font face à des difficultés importantes.

Le comité note ainsi le retard du programme Ajax, lancé en 2014 avec une enveloppe de 5,3 milliards de livres sterling, afin de remplacer les véhicules blindés de reconnaissance de la British Army. « En mai 2020, il est apparu que la livraison du premier lot de véhicules Ajax devait être retardée car ces derniers n’étaient pas prêts à être acceptés en service », rappelle-t-il, alors que 600 exemplaires doivent être reçus d’ici 2025.

La modernisation des Warrior, dans le cadre du programme « Warrior Capability Sustainment », doté de 800 millions de livres sterling au moment de son lancement, en 2011, connaît des « problèmes techniques importants », alors que la moitié de l’enveloppe a déjà été dépensée. Le contrat n’a toujours pas été notifié, alors qu’il était prévu de mettre en service ces blindés modernisés en 2017. Le calendrier a glissé jusqu’en 2024.

Quant à la modernisation du Challenger 2, aucun budget n’a été déterminé pour le moment, alors que de son montant dépendra l’ampleur des modifications qui lui seront apportées [ainsi que le nombre d’exemplaires concernés]. L’objectif est de prolonger sa vie opérationnelle jusqu’en 2035.

Dans le domaine de l’infanterie mécanisée, Londres a déjà fait savoir son choix en faveur de l’ARTEC Boxer. Un investissement de 2,8 milliards de livres sterling est prévu pour financer le remplacement des FV430 par 500 véhicules de ce type. Ce programme est la « clé de voûte » du concept des « brigades de contact » de la British Army. Or, les premières livraisons n’auront pas lieu avant 2023.

Enfin, la British Army a l’intention d’acquérir 2.747 véhicules blindés JLTV [Joint Light Tactical Vehicle] auprès des États-Unis afin de remplacer notamment ses Land Rover et ses Pinzgauer 716 MK 6×6 Vector PPV.

« Ce programme est actuellement suspendu, en partie à la suite de l’examen par l’armée américaine des exigences de son programme JLTV qui devrait éclairer le choix du Royaume-Uni sur le véhicule à acheter », indique le comité, qui souligne par ailleurs la nécessité de remplacer aussi les canon automoteur AS-90 de la British Army.

Aussi, les députés britanniques veulent avoir une idée précise de la situation des flottes de blindés mis en oeuvre par la British Army. Et surtout si cette dernière pourra être en mesure d’atteindre les objectifs qui lui ont été fixés dans le cadre du concept « Joint Force 2025 ».

Le « comité a précédemment noté que toute répétition d’échecs passés nuirait gravement, sinon fatalement, à la capacité de l’armée de déployer une division de combat comme envisagé », rappelle la notice annonçant le lancement de cette enquête parlementaire.

Cette dernière devra aussi être l’occasion de trouver des réponses à plusieurs questions de fond, comme celles de savoir si la British Army a dû « sacrifier des capacités » pour financer les dépassements de ses principaux programmes de véhicules blindés, si elle sera « en mesure de faire face à la menace potentielle posée par ses adversaires » ou si elle pense que la modernisation des Warrior reste pertinente.

Les députés britanniques souhaitent vérifier s’il est « judicieux de mettre à niveau le Challenger 2 alors que des des véhicules plus récents et plus performants peuvent être disponibles auprès des alliés de l’Otan ». Enfin, les questions industrielles seront aussi abordées. Il s’agira en effet de s’intéresser à la « mauvaise performance » des industriels, notamment pour les programme Warrior et Ajax, de savoir si le Royaume-Uni doit « avoir une stratégie industrielle pour les véhicules terrestres » et de déterminer, le cas échéant, les avantages que cela pourrait lui procurer. Les réponses devraient être connues d’ici la fin de l’année.

Photo : Challenger 2 (c) OTAN

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