L’Allemagne veut une « boussole stratégique » pour l’Union européenne

Que les États-Unis s’intéressent de plus en plus à la région Indo-Pacifique par rapport à l’Europe n’est pas un péhnomène nouveau. C’était déjà le cas sous l’ère du président Obama, avec le « pivot asiatique » consistant à faire basculer le « centre de gravité » de la politique étrangère américaine vers cette zone aux dépens du Vieux Continent. Et, alors chef du Pentagone, Robert Gates avait exhorté les Européens à cesser de réduire leurs dépenses militaires, estimant que le contribuable américain n’avait « pas à assumer le fardeau croissant créé par les réductions des budgets de la défense » des membres de l’Otan.

Des mots que n’aurait pas renié Donald Trump. Aussi, ce dernier s’inscrit dans cette logique, d’une manière plus « abrupte ». En clair, si la forme change, le fond reste. Cependant, à partir de 2014, les États-Unis ont renforcé leur présence militaire en Europe, dans le cadre de l’opération Atlantic Resolve, visant à rassurer les pays européens s’estimant menacés par la Russie.

Cela n’est pas fondamentalement remis en cause par l’actuel locataire de la Maison Blanche… si ce n’est qu’il faut désormais des contre-parties financières, comme la Pologne – et, plus récemment, la Lettonie – les ont proposées pour accueillir les troupes américaines appelées éventuellement à quitter l’Allemagne, à qui Washington reprose la faiblesse de ses dépenses militaires et sa participation dans le projet russe de gazoduc Nord Stream 2.

Pour rappel, le président Trump a l’intention de réduire drastiquement [de 30%] le volume des forces américaines stationnées en permanence outre-Rhin. Une perspective qui n’enchante guère plusieurs élus allemands, quelle que soit, d’ailleurs, leur couleur politique. Ainsi, les « ministres-présidents » de quatre États régionaux [Bade-Württemberg, Rhénanie-Palatinat, Bavière, Hesse] ont écrit à 13 membres du Congrès américain pour leur demander d’empêcher ce projet.

Selon ces derniers, les forces américaines déployées en Allemagne constituent la « colonne vertébrale de la présence militaire en Europe et de la capacité d’action de l’Otan. » Et de demander de « ne pas couper le lien d’amitié, mais de renforcer le lien d’amitié » entre les deux pays.

Au niveau du gouvernement fédéral, on dit peu ou prou la même chose… Toutefois, il semble qu’il ait pris acte de cette évolution, tout en continuant de considérer que l’Otan doit rester la pierre angulaire de la sécurité européenne.

« Nous pensons que l’Alliance est d’une grande valeur pour chacun de ses membres. […] Les troupes américaines en Allemagne aident à protéger non seulement l’Allemagne et la partie européenne de l’OTAN, mais aussi les intérêts des États-Unis d’Amérique », a ainsi fait observer Angela Merkel, la chancelière allemande, dans un entretien publié par plusieurs journaux européens le 26 juin.

« En Allemagne, nous savons que nous devons dépenser davantage pour la défense. Nous avons obtenu des augmentations considérables ces dernières années et nous continuerons sur cette voie pour renforcer nos capacités militaires », a également affirmé Mme Merkel, avant d’estimer que l’Europe doit désormais « porter une plus grande charge que pendant la guerre froide ». Et d’ajouter : « Nous avons grandi avec la certitude que les États-Unis voulaient être une puissance mondiale. S’ils souhaitent maintenant ne plus tenir ce rôle de leur propre gré, nous devrons y réfléchir très profondément. »

Alors que l’Allemagne assure la présidence tournant de l’Union européenne [UE], cette réflexion évoquée par Mme Merkel doit aboutir à l’élaboration d’une « boussole stratégique » pour les Européens, afin d’anticiper un éventuel désengagement militaire américain. C’est en effet ce qu’a expliqué Annegret Kramp-Karrenbauer, la ministre allemande de la Défense, à la sous-commission de la sécurité et de la défense du Parlement européen, le 14 juillet.

Ainsi, selon cette dernière, le résultat des prochaines élections présidentielles américaines n’inversera pas la tendance actuelle, même en cas d’une victoire de Joe Biden, le rival démocrate de M. Trump. Seul le ton et la méthode changeront. « La réorientation de la politique étrangère américaine vers la Chine […] restera un moteur clé à Washington, peut-être au détriment de l’Europe », a-t-elle déclaré. « Si tel est le cas, cela signifie que nous, Européens, devons être capables d’agir plus que ce n’est le cas aujourd’hui », a-t-elle continué.

D’où l’importance de cette « boussole stratégique« , sorte de « boite à outils » qui éviterait d’être pris au dépourvu tout en renforçant un pôle européen au sein de l’Otan. En outre, elle serait une « étape clé pour garantir que tous les États membres soutiennent une politique étrangère et de défense commune », en s’appuyant sur une évaluation commune des menaces à l’échelle de l’UE, a expliqué Mme Kramp-Karrenbauer. Ce qui ne sera pas une mince affaire. Par exemple, certains pays membres [Pologne, États baltes, Suède, Slovaquie, etc] étant plus sensibles aux actions de la Russie que d’autres [comme la Hongrie]. Cela vaut aussi à l’égard de la Chine, des visées turques en Méditerranée orientale ou bien encore de la menace terroriste, qui n’est pas perçue de la même manière à Varvovie qu’à Paris.

« Si nous voulons nous affirmer en tant qu’Européens, nous ne pouvons le faire qu’ensemble. […] Il s’agit de défense collective, il s’agit d’opérations internationales, il s’agit d’une vision stratégique du monde, il s’agit en fin de compte de la question de savoir si nous voulons façonner activement l’ordre mondial », a insisté Mme Kramp-Karrenbauer, auprès du quotidien Die Zeit, le 16 juillet.

Par ailleurs, et s’agissant de la méthode pour évaluer les dépenses militaires, notamment au niveau de l’Otan, la ministre allemande a plaidé pour l’abandon de la fameuse norme des 2% du PIB, qui, en ces temps de crise économique, ne veut rien dire.

En effet, pour Berlin « dans un contexte de ralentissement de l’activité économique dû à la pandémie [de Covid-19], le pourcentage du PIB offrira une vision encore plus disproportionnée de la contribution des membres de l’Otan, car les pays pourront plus facilement atteindre leurs objectifs. » Aussi, le plus pertinent serait de mesurer les capacités militaires fournies à l’Alliance.

Photo : Gerd Altmann, via Pixabay

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