Du SCAF et du Tempest, lequel des deux « descendra » l’autre?

L’idée de développer un avion de combat européen fut avancée à la fin des années 1970. Ainsi, une première tentative, réunissant la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, tourna court, les besoins exprimés par les états-majors étant inconciliables. Une seconde, en apparence plus prometteuse, consista à « fusionner » le programme ACA [Agile Combat Aircraft], alors porté par British Aerospace, l’allemand MBB et Aeritalia, avec le projet français ACX [Avion de Combat Expérimental]. Sans succès, une fois encore. De cet échec naîtront l’Eurofighter et le Rafale, deux appareils concurrents à l’exportation.

L’histoire va-t-elle se répéter dans les années 2020? Certes, les circonstances sont différentes… Mais il n’en reste pas moins que deux programmes européens d’avions de combat sont actuellement en cours, à savoir le Système de combat aérien du futur [SCAF] défendu par la France, l’Allemagne et l’Espagne, et le Tempest, un projet lancé par le Royaume-Uni et rejoint par l’Italie. Et il pourrait même y en avoir un troisième si la Suède décide de développer seule un successeur au Gripen.

Le concept du SCAF et celui du Tempest sont très proches : il s’agit de mettre au point un « système de systèmes » reposant sur un avion de combat de nouvelle génération, pouvant mettre en oeuvre des effecteurs.

Pendant un temps, il était question d’une coopération franco-britannique dans le domaine des drones de combat [UCAV]. Mais finalement, c’est vers l’Allemagne que la France s’est donc tournée, à cause, avait-il été avancé, des hésitations britanniques. Seulement, en juillet 2018, Londres présenta le programme Tempest à l’occasion du salon de Farnborough.

« Cette évolution reflète […] un changement de perception concomitant des deux pays. Au départ, le projet des deux pays [de la France et du Royaume-Uni] était de disposer au-delà de 2030/2040 d’un drone de combat qui compléterait un avion de combat rénové [Rafale et Typhoon rénovés], ce couplage permettant d’assurer toutes les missions, de la haute à la basse intensité, le drone se limitant quant à lui à des missions d’attaque au sol et de reconnaissance. Finalement, il est apparu nécessaire de développer un avion de combat totalement nouveau au sein d’un système de systèmes, avion capable de prendre la relève de l’Eurofighter Typhoon et du Rafale », rappellent les sénateurs Hélène Conway-Mouret et Ronan Le Gleut, dans un rapport dédié au SCAF.

Cela étant, si le projet porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne s’inscrit dans une logique purement européenne, tel n’est pas le cas du Tempest, étant donné que le Royaume-Uni a adopté une approche plus « internationale », en faisant des appels du pied au Japon, à la Turquie et même à l’Arabie Saoudite. Et cela, précisent les deux parlementaires, dans une « perspective d’apport de fonds et non de coopération industrielle. »

Par ailleurs, Londres a l’intention d’aller vite. Ne prévoyant de démonstrateur, à la différence du SCAF, le programme Tempest devrait entrer dans le vif du sujet à partir de 2025, avec une phase de développement devant être terminée en 2035. En attendant, la Royal Air Force [RAF] ne perd pas une occasion de communiquer à son sujet, laissant ainsi le sentiment que ce projet est irréversible.

S’il y a une réelle volonté politique en faveur du Tempest [le secteur de l’aéronautique a représenté 95% des exportations britanniques d’armements en 2018], ce calendrier paraît « extrêmement ambitieux compte-tenu de la complexité du projet », notent les deux sénateurs.

Et d’ajouter : « Avec le Brexit et les conséquences de la crise du coronavirus, le contexte budgétaire risque d’être difficile dans les années à venir pour un tel programme » et la « revue budgétaire globale qui devrait être achevée et dont les aspects de défense constituent un élément important, a été reportée à la fin 2020, voire à 2021. » Aussi, les « 2 milliards de livres disponibles pour la phase d’évaluation technologique avant 2025 paraissent insuffisants, rendant encore plus nécessaire la recherche de partenaires, mais les Britanniques souhaitent aussi un retour industriel massif sur leur territoire, ce qui rendra la coopération plus difficile. »

Dans le même temps, le SCAF fait face à ses propres difficultés, la première d’entre-elles étant qu’il est à la merci de retards et de blocages en raison des possibles réticences et des procédures parlementaires allemandes, le Bundestag ayant son mot à dire dès lors qu’un investissement de 25 millions d’euros doit être effectué.

Quoi qu’il en soit, s’ils sont menés à terme, les deux programmes ne pourront donc qu’être concurrents. Ce qui, selon Mme Conway-Mouret, « menace en partie l’exportabilité » du SCAF. Surtout dans le cas où le Tempest prend de l’avance.

« Il est ainsi fort possible que les deux programmes entrent en concurrence directe. Ceci serait dommageable pour la construction d’une base industrielle et technologique de défense européenne. Il n’est pas certain que l’Europe pourra s’offrir deux systèmes de combat aérien du futur concurrents, avec une base d’exportation nécessairement plus étroite que s’il n’existe qu’un seul programme, surtout lorsque les conséquences économiques de la crise du coronavirus se seront fait pleinement sentir », estime ainsi les rapporteurs.

La raison voudrait que les deux programmes se rapprochent à un moment ou à un autre… Mais cela relève du voeu pieux. « Pour le moment, les deux projets n’ont aucune intersection, et l’intérêt réciproque serait de moins en moins marqué » et un « rapprochement deviendra probablement encore plus difficile si le projet britannique parvient à une véritable internationalisation », expliquent Mme Conway-Mouret et M. Le Gleut. Qui plus est, poursuivent-ils, la « négociation pour la répartition des tâches entre les grands leaders industriels au sein d’un seul et même projet, en particulier Airbus, Dassault, BAE, Thales et Léonardo, serait très complexe. »

Photos : 1/ Tempest (c) BAE Systems 2/ SCAF (c) Dassault Aviation

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