Incident de la frégate Courbet avec la marine turque : Washington dit partager les préoccupations françaises

Le 14 juillet, Ankara a évoqué un échange téléphonique entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son homologue américain, Donald Trump, en affirmant que les deux hommes s’étaient mis d’accord « pour coopérer plus étroitement, en tant qu’alliés, […] afin de promouvoir une stabilité durable en Libye », pays déchiré entre deux factions rivales [le gouvernement d’union nationale de Tripoli et celui de Tobrouk, ndlr].

En Libye, la position des États-Unis est difficile à cerner, au point que, à un moment, il a été dit que l’administration Trump soutenait le maréchal Haftar, le chef de l’Armée nationale libyenne [ANL], qui relève des autorités de Tobrouk.

En effet, en avril 2019, et alors que l’ANL venait de lancer une offensive en direction de Tripoli, le chef de la Maison Blanche fit savoir que, à l’issue d’un entretien téléphonique, il « avait reconnu le rôle important » de l’homme fort de l’est libyen [du moins l’était-il à l’époque] dans « la lutte contre le terrorisme et dans la sécurisation des ressources pétrolières libyennes. »

« Les États-Unis n’ont pas retiré leur reconnaissance, ni révoqué leur soutien au GNA, mais il y a eu de facto des contacts au plus niveau avec Haftar », avait alors expliqué James Dorsey, un spécialiste du Moyen-Orient sollicité par l’AFP. « Aux yeux de Washington, Haftar répond à deux critères: il se positionne contre les islamistes et est soutenu par deux de ses alliés les plus proches dans la région : les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite », avait-il ajouté.

Depuis, la Turquie a accentué son appui au GNA, via l’envoi de combattants recrutés par les groupes rebelles syriens qu’elle soutient et la livraison d’armes. Cela a changé le rapport de force sur le terrain, ce qui s’est traduit par une succession de revers infligés à l’ANL, cette dernière étant par ailleurs soutenue par la Russie. Ce qui est régulièrement dénoncé par l’US Africom, le commandement militaire américain pour l’Afrique.

Cela étant, pour faire respecter l’embargo sur les armes imposé à la Libye par le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Union européenne a lancé l’opération navale Irini, avec l’objectif de surveiller et de contrôler le trafic maritime au large des côtes libyennes. D’où ses limites : elle n’est en effet pas en mesure de contrôler des cargaisons suspectes acheminées par les airs et/ou la voie terrestre. Et cela explique pourquoi elle est amenée à s’intéresser aux cargos faisant la navette entre la Turquie et le port libyen de Misrata.

Le 16 juillet, le secrétaire d’État américain adjoint pour le Moyen-Orient, David Schenker, s’en est justement pris à l’opération Irini, estimant que les Européens ne font porter des restrictions aux seules livraisons de matériel militaire turc. « Ils pourraient au moins, s’ils étaient sérieux, je crois, dénoncer toutes les parties au conflit quand elles violent l’embargo sur les armes », a-t-il dit, lors conférence organisée par le cercle de réflexion German Marshall Fund. « C’est regrettable. Ils pourraient faire beaucoup plus », a-t-il insisté.

En outre, le responsable américain a également estimé que les Européens pourraient « agir contre les mercenaires du groupe russe Wagner », lequel soutient l’ANL. « Ils ont peut-être peur de représailles de la part de la Russie », a-t-il avancé.

Cela étant, Irini n’est pas la seule opération navale en Méditerranée à veiller sur l’embargo sur les armes imposé la Libye. C’est en effet dans le cadre de l’opération Sea Guardian, de l’Otan, que, le 10 juin, la frégate française Courbet a tenté de contrôler le cargo Cirkin, alors escorté par trois navires turcs.

Ces derniers, ayant apparemment activité leurs codes d’identification « Otan » alors qu’ils n’étaient pas autorisés à le faire, ont empêché le contrôle du cargo, l’un d’eux, selon Paris, ayant même illuminé la frégate française avec son radar de conduite de tir à trois reprises. Une telle action ne peut qu’être considérée comme hostile étant donné qu’elle constitue la dernière étape avant l’ouverture du feu. Les responsables turcs ont réfuté toute action hostile et même accusé le Courbet d’avoir effectué une manoeuvre dangereuse.

Cette affaire a été portée devant l’Otan par Florence Parly, la ministre française des Armées. Le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, toujours soucieux de ménager la Turquie, a ensuite annoncé, par la force des choses, l’ouverture d’une enquête.

Seulement, « faute de moyens », cette dernière n’aurait « pas permis d’établir correctement les faits », selon Paris, qui, en conséquence, a suspendu sa participation à l’opération Sea Guardian. « Il ne nous paraît pas sain de maintenir des moyens dans une opération censée, parmi ses différentes tâches, contrôler l’embargo avec des alliés qui ne le respectent pas », a fait savoir le ministère des Armées.

À l’Otan, « j’ai été soutenue par beaucoup de mes homologues européens et je les en remercie. Nous sommes censés être une alliance. Un allié qui viole consciencieusement les règles que l’Alliance est censée faire respecter et tente de menacer ceux qui l’interrogent, ce n’est pas acceptable », a ensuite fait valoir Mme Parly, lors d’une audition au Parlement européen.

Jusqu’à présent, les États-Unis étaient restés muets sur cet incident entre la frégate française et la marine turque. Mais, a priori, Washington a pris le parti de la France dans cette affaire. C’est, du moins, ce qu’a laissé entendre Robert O’Brien, le conseiller à la sécurité nationale du président Trump.

« Entre alliés de l’Otan, on ne doit pas activer des radars de contrôle de tir les uns contre les autres. Ce n’est pas bien », a dit M. O’Brien à des journalistes, lors d’un passage à Paris, et dont les propos ont été rapportés par l’Associated Press. « Nous partageons largement les préoccupations françaises. […] Nous les prenons très au sérieux », a-t-il ajouté, soulignant qu’il y avait toutefois deux versions contradictoires de l’incident.

Enfin, M. O’Brien a également indiqué que Donald Trump était disposé à s’impliquer dans ce dossier afin de « désarmorcer les tensions » entre Paris et Ankara, grâce à ses « relations personnels avec Recep Tayyip Erdogan et le président Macron ».

[*] « very sympathetic », ce qui peut se traduire par « très solidaires », selon le dictionnaire Oxford anglais/français.

Photo : Marine nationale

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