En mettant l’accent sur la protection civile et la cyberdéfense, la réforme de l’armée autrichienne divise

Invités à participer aux deux dernières éditions du Strong Europe Tank Challenge, une compétition « amicale » ouverte à des pelotons de chars de combat et organisée à Grafenwoehr par la Bundeswehr et l’US Army, les militaires autrichiens et leurs chars Leopard 2A4 ont toujours fait forte impression, se classant à la première place en 2017 et à la troisième en 2018. Qu’en sera-t-il à l’avenir?

En effet, la semaine passée, des fuites sur une nouvelle réforme des forces armées autrichiennes, en cours d’élaboration par la ministre de la Défense, Klaudia Tanner, ont largement été évoqués par la presse. Et pour cause : elle s’annonce radicale, au point de surprendre les partenaires écologistes du gouvernement emmené par le Premier ministre conservateur Sebastian Kurz et de susciter une levée de bouclier au sein de l’opposition, dont font partie les sociaux-démocrates du SPÖ, les libéraux du parti NEOS et les élus du Parti de la liberté d’Autriche [FPÖ].

« Il n’y aura pas de guerre conventionnelle, dans un avenir prévisible, sur le territoire autrichien. Et donc l’armée n’a pas besoin de s’y préparer. Il n’est pas non plus nécessaire de craindre le terrorisme systémique, qui vise à créer une guerre civile et, finalement, un effondrement de l’État. C’est l’idée de base avec laquelle le cabinet du ministre de la Défense, Klaudia Tanner [ÖVP], lance la plus grande réorganisation de l’histoire de la défense nationale autrichienne », a ainsi résumé le quotidien Der Standard, dans un article qui suscité plus de 2.300 commentaires. Signe que la réforme annoncée donne matière à débat.

Ainsi, ce plan, appelé « Unser Heer » [« Notre armée »], prendrait le contre-pied de celui qu’avait présenté Thomas Starlinger, le prédécesseur de Mme Tanner, il y a quelques mois. Intitulé « Unser Heer 2030« , ce dernier soulignait la nécessité d’investir 16 milliards d’euros d’ici 2030 pour « combler l’écart entre les missions des Forces armées autrichiennes, qui s’élargit depuis des années, et les moyens mis à leur disposition. » Et il s’était attaché à souligner les risques que pouvaient causer un « manque de financement chronique » sur les capacités à protéger l’Autriche et sa population.

La réforme en question viserait à supprimer l’échelon « brigade », à réduire considérablement les unités d’artillerie et de chars de combat [un seul bataillon serait conservé, afin de disposer d’un « échantillon » capacitaire] et à diminuer drastiquement le nombre de militaires de carrière, les réservistes étant appelés à tenir un rôle plus important, avec des incitations financières à la clé.

Pour rappel, l’Autriche a maintenu la conscription à l’issue d’un référendum organisé en 2013. Seulement, pour des raisons démographiques et des questions d’aptitudes médicales, le nombre d’appelés tend à se réduire [en 2018, sur 46.519 conscrits potentiels, 11.000 ont été déclarés inaptes, ndlr].

Cela étant, et dans le même temps, la réforme entendrait mettre l’accent sur la cyberdéfense, le développement des capacités NRBC [nucléaire, radiologique, biologique, chimique] et le génie, l’idée étant que l’armée fédérale autrichienne puisse surtout être en mesure d’intervenir en cas de catastrophes naturelles.

D’ailleurs, cette évolution irait dans le sens d’un sondage évoqué par Der Standard. En effet, la protection civile assurée par les est considérée comme prioritaire pour 77% des personnes interrogées. Viennent ensuite les opérations d’assistance au maintien de la sécurité intérieure [44%], la défense du territoire [41%] et la participation aux missions internationales [18%].

Le souci est que cette orientation visant à limiter le rôle des militaires à la protection civile ne serait pas conforme à la Constitution fédérale, dont l’article 9a précise que « l’Autriche proclame son attachement à une défense nationale globale.

« La mission de celle-ci est de préserver l’indépendance vis-à-vis de l’étranger ainsi que l’invulnérabilité et l’intégrité du territoire fédéral, en particulier dans le but de maintenir et de défendre la neutralité permanente. Dans ce cadre, les institutions constitutionnelles et leur capacité d’action ainsi que les libertés démocratiques des habitants seront aussi protégées et défendues contre les agressions extérieures », indique encore ce texte, lequel précise que « la défense nationale globale comprend la défense nationale militaire, spirituelle, civile et économique. »

D’où les oppositions à cette réforme, qui va « démilitariser la République« , selon l’éditorialiste politique Conrad Seidl. « Les forces armées devraient conserver la capacité de fournir ‘protection et aide’ [un slogan des années 90], mais la protection et l’aide sont principalement des service d’assistance que fournissent les organisations civiles », a ainsi relevé ce dernier.

« Si, à l’avenir, l’accent est mis sur la protection civile, la question se pose de savoir qui protégera l’Autriche en cas d’urgence. En tout cas, ce ne sera pas l’Otan », a fait valoir le social-démocrate Robert Laimer.

Cela étant, Mme Tanner a tenté d’éteindre la polémique. « Il est absolument clair que la défense est et reste la tâche propre de l’armée fédérale. Rien ne changera à l’avenir. La protection de la population est notre tâche principale, à laquelle nous nous consacrons », a-t-elle réagi, dans un communiqué publié le 25 juin par ses services.

« À cette fin, nous achèterons des équipements modernes avec lesquels nous protégerons non seulement nos frontières […] et aiderons la population en cas de catastrophe », a continué la ministre. « L’armée fédérale devient plus forte que jamais. Ceux qui fixent les mauvaises priorités […] affaibliront l’armée et mettront en danger la population », a-t-elle conclu.

Photo : Leopard 2A4 autrichien (c) US ARMY

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