Selon le renseignement américain, la Russie aurait offert des primes aux talibans pour tuer des soldats de l’Otan

En décembre 2015, Zamir Kabulov, un responsable de la diplomatie russe, avait affirmé que, face à la branche afghano-pakistanaise de l’État islamique, les intérêts de la Russie « coïncidaient objectivement » avec ceux des talibans afghans. Et d’assurer que des « canaux de communication » avaient été ouvert entre Moscou et le mouvement taleb, pourtant toujours considéré comme étant une organisation terroriste, pour « échanger des informations ».

Un an plus tard, les responsables afghans exprimèrent des doutes au sujet de cette relation qui, selon eux, n’était pas seulement politique… et qu’elle constituait même une « nouvelle tendance dangereuse ». En effet, il avancèrent, à l’époque, que des rencontres entre des responsables talibans et des émissaires russes avaient eu lieu au Tadjikistan, avec, à la clé, des livraisons d’armes [mitrailleuses, fusils d’assaut] et d’équipements militaires [jumelles de vision nocturne, notamment].

Ces accusations furent ensuite reprises en 2018, par le général John Nicholson, alors commandant de la mission Resolute Support, lancée par l’Otan, et des forces américaines déployées en Afghanistan. Selon lui, les armes livrées aux talibans passaient en contrebande par le Tadjikistan, à la faveur d’exercices militaires russes.

« Ils [les Russes] apportent beaucoup de matériel et ils en laissent derrière eux », avait expliqué le général Nicholson, se refusant à aller jusqu’à parler d’une éventuelle guerre « par procuration » de la Russie contre les États-Unis. « Cette activité [les livraisons d’armes] a pris de l’ampleur au cours des 18/24 derniers mois. […] Avant cela, nous n’avions pas vu ce genre d’activité déstabilisatrice de la part de la Russie ici, mais il est intéressant de noter le moment où tout cela s’est produit », avait-il dit.

« Nous insistons de nouveau sur le fait que de telles déclarations sont absolument dénuées de tout fondement et nous invitons les responsables à ne pas raconter n’importe quoi », répondit alors la diplomatie russe.

Cela étant, à en croire le New York Times, les activités russes en Afghanistan auraient dépassé le cadre de simples livraisons d’armes. En effet, rapporte le quotidien, des responsables du renseignement américain « ont conclu qu’une unité du renseignement militaire russe » [le GRU, nldr] a « secrètement offert des primes aux combattants talibans ou à des éléments criminels qui leur sont étroitement associés » pour avoir tué des soldats de l’Otan et visé les troupes américaines alors que des pourparlers de paix se tenaient pour mettre fin à la guerre.

Cette évaluation du renseignement américain repose en partie sur les interrogatoires de combattants talibans et de criminels capturés. « Les responsables n’ont pas décrit les mécanismes de l’opération russe, notamment sur la façon dont les cibles ont été choisies ou comment l’argent a changé de mains. On ne sait pas non plus si des agents russes ont été envoyés en Afghanistan ou s’ils ont rencontré leurs homologues talibans ailleurs », écrit le New York Times.

Les agents russes en question appartiendraient à l’unité 29155, soupçonnée de mener des opérations de déstabilisation en Europe; Elle est accusée d’être impliquée dans tentative d’assassinat du colonel Sergueï Skripal [un ancien du GRU] au Royaume-Uni et dans celle d’un industriel bulgare.

« Jamais auparavant l’unité n’avait été accusée d’avoir orchestré des attaques contre des soldats occidentaux, mais des responsables informés de ses opérations indiquent qu’elle est active en Afghanistan depuis de nombreuses années », affirme le New York Times, pour qui cette affaire constitue une « escalade » dans la « soi-disante guerre hybride de la Russie contre les États-Unis », laquelle repose sur une stratégie de déstabilisation combinant cyberattaques, diffusions de fausses informations et opérations militaires secrétes pouvant facilement être niées.

En 2019, le site iCasuaties rapporte que 26 militaires de l’Otan [dont 24 Américains] ont perdu la vie en Afghanistan. Combien ont été tués dans le cadre de cette opération prêtée au GRU? Le quotidien n’est pas en mesure de le préciser. En revanche, il indique que le président Trump en a été informé et qu’une réunion avec ses proches conseillers a été organisée en mars pour évoquer cette affaire. Le Royaume-Uni a été mis au courant, étant donné que son contingent déployé en Afghanistan aurait également été visé.

Pour le moment, la Russie n’a pas encore réagi au papier du New York Times. Papier qui été cependant démenti par Zabihullah Mujahid, le porte-parole du mouvement taleb afghan. Selon lui, il s’agit d’une « tentative de diffamation ». « Ce genre d’accords avec une agence de renseignement russe est sans fondement », a-t-il dit, insistant que les talibans n’avaient pas besoin de primes pour leurs opérations.

Quoi qu’il en soit, le mouvement taleb afghan a surtout pu compter sur le soutien des services de renseignement pakistanais [ISI, Inter Services Intelligence], lesquels lui ont offert le gîte, le couvert et des armes. Et cela, alors que les États-Unis avaient versé une aide financière substantielle au Pakistan dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Cette ambiguitë d’Islamabad a été illustrée par les récents propos tenus par Imran Khan, le premier ministre pakistanais.

« Les Américains sont venus à Abbottabad et ont tué Oussama Ben Laden. Il est mort en martyr », a en effet affirmé ce dernier, lors d’un discours prononcé le 25 mai devant le Parlement. « Après cela, le monde entier nous a insultés […]. Notre allié tue quelqu’un dans notre pays sans même nous en informer », a-t-il ajouté, évoquant une « humiliation pour de nombreux Pakistanais ».

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]