Des sous-marins américains ont été construits avec des pièces en acier d’une qualité inférieure aux normes exigées

Le 10 avril 1963, l’USS Thresher, avec 129 marins à bord, devenait le premier sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] de l’histoire à disparaître en mer, durant des essais de plongée à 400 km de la côte Nord-Est des États-Unis. L’hypothèse privilégiée pour expliquer ce naufrage est que le bâtiment a été victime d’une voie d’eau ayant déclenché un court-circuit et provoqué l’arrêt de son réacteur nucléaire. Privé de propulsion, il s’est alors enfoncé dans les profondeurs, jusqu’à l’éclatement de sa coque, soumise une forte pression.

Après ce drame, l’US Navy a alors lancé le programme SUBSAFE, prévoyant une série de contrôles rigoureux effecutés à chaque étape de la construction d’un sous-marin, y compris lors des périodes de maintenance. Depuis, la marine américaine a perdu un autre sous-marin, en l’occurence l’USS Scorpion, en 1968. Mais la cause du naufrage de ce dernier est, à ce jour, fait l’objet de plusieurs théories, dont une reposant sur l’explosion accidentelle d’une torpille.

Cela étant, des SNA de la classe Virginia, construits par General Dynamics Electric Boat et Huntington Ingalls Industries, ne répondraient aux normes établies dans le cadre du programme SUBSAFE.

En effet, en 2008, le groupe australien Bradken reprit une fonderie qui, implantée à Tacoma [Washington], fournissait alors des pièces moulées en acier aux chantiers navals chargés de la construction des sous-marins de l’US Navy.

Seulement, en 2017, il est apparu que des tests de qualité, réalisés pour vérifier si ces pièces en acier correspondaient aux normes de résistance et de solidité, avaient été falsifiés par Elaine Thomas, la directrice du laboratoire de cette entreprise [aux compétences par ailleurs reconnues par ses pairs], depuis 1990. Ainsi, pour certaines mesures, un 3 pouvait se transformer en 5… Et le tour était joué.

Quand le groupe australien a découvert l’existence de ces falsifications, portant tout de même sur plus de 200 tests, il a licencié celle qui en était à l’origine [alors qu’elle allait prendre sa retraite] et averti l’US Navy… tout en suggérant que les écarts constatés n’étaient pas le fruit d’une fraude. Ce qui, selon la justice, a entravé les efforts de la marine américaine pour avoir une idée précise de l’ampleur du problème et prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses sous-mariniers.

« Après que la direction de Bradken a découvert les données falsifiées, elle a induit l’US Navy en erreur sur l’étendue et la nature de la fraude. […] Elle a mis en danger les marins et les opérations de la marine », a en effet estimé le procureur fédéral Brian T. Moran, via un communiqué publié la semaine passée. « Les fournisseurs du gouvernement ne doivent pas tolérer la fraude dans leurs rangs et doivent pleinement coopérer avec les autorités quand ils en découvrent », a-t-il ajouté.

Pour la justice, les 18 mois durant lesquels Bradken n’a pas divulgué les certifications « frauduleuses » signées par Elaine Thomas ont « sérieusement entravé les efforts de la Marine pour évaluer et corriger les risques potentiels pour la sécurité et les opérations » et « auraient pu entraîner de graves incidents impliquant des sous-marins. »

Ayant fait amende honorable, le groupe Bradken a accepté de payer 10,8 millions de dollars dans le cadre d’un accord avec la justice.

« Bien que la société reconnaisse qu’elle n’a pas découvert et divulgué toute l’étendue du problème au cours des premières étapes de l’enquête, le gouvernement [américain] a reconnu la coopération de la société Bradken […] comme étant exceptionnelle », a expliqué le groupe. « Ces efforts ont abouti à un accord de poursuites différées et à un accord de règlement avec le gouvernement, portant sur toutes les accusations criminelles potentielles et les poursuites civiles contre l’entreprise », a-t-il ajouté.

De son côté, le procureur a rappelé que l’US Navy a été contrainte de prendre « d’importantes mesures pour assurer la sécurité des opérations des sous-marins touchés » et que ces dernières « entraîneront une augmentation des coûts et de la maintenance. » Aussi, a-t-il expliqué, « notre accord avec l’entreprise vise à garantir qu’elle améliorera ses procédures. » Et d’insister : « Nous espérons que ces mesures amélioreront le système d’approvisionnement militaire. »

L’accord de « poursuite différées » précise que Bradken devra prendre toutes les mesures nécessaires pour améliorer le contrôle de la qualité des pièces destinées aux sous-marins de la marine américaine et éviter de nouvelles fraudes. Si, au bout de trois ans, elles sont jugées satisfaisantes, alors les charges seront abandonnées.

Cela étant, celle par qui le scandale est arrivé n’est pas encore au bout de ses peines puisque Elaine Thomas devra répondre de ses actes devant la justice. Elle comparaîtra devant un tribunal fédéral le 30 juin prochain. Durant l’enquête, elle a expliqué qu’elle avait trouvé « stupides » certains tests exigés par l’US Navy pour vérifier la qualité des pièces destinées à ses sous-marins.

Quoi qu’il en soit, cette affaire n’est pas un cas isolé. En octobre 2019, Ari Lawrence, un lanceur d’alerte ayant travaillé chez Huntington Ingalls jusqu’en 2017, a accusé son ancien employeur d’avoir utilisé une colle, appelée TPAC [two-part adhesive coating], pour fixer les tuiles anéchoïques sur les coques des sous-marins sans avoir préalablement obtenu les « qualifications et les certifications appropriées. »

Photo : General Dynamics Electric Boat Public Affairs

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