La Corée du Nord dynamite le dialogue avec Séoul

Décembre 2017. Nombreux furent ceux qui, s’essayant à l’art délicat de la prospective, craignaient un conflit entre la Corée du Nord et les États-Unis, sur fond de menace(s) nucléaire(s). Le Council on Foreign Relations avait même placé un tel risque de confrontation à la première place des dangers qui guettaient la planète à l’aube de la nouvelle année.

Il faut dire que la Corée du Nord venait d’effectuer une percée majeure en lançant, à trois reprises, le Hwasong-15, un missile balistique intercontinental pouvant atteindre le territoire des États-Unis. Et en septembre, elle avait réalisé un nouvel essai nucléaire, sur le site de Pungye-ri.

Mais le chef du régime nord-coréen, Kim Jong-un, fit mentir les pronostics les plus sombres en annoçant, en avril 2018, un moratoire sur les essais nucléaires. Mieux : après les Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, pendant lesquels les sportifs des deux Coréens firent cause commune pour certaines épreuves, Pyongyang et Séoul amorcèrent un rapprochement qualifié d »historique » par les observateurs, lesquels oublièrent qu’il y en avait déjà eu deux du même ordre par le passé…

Puis, après avoir donné un gage de bonne volonté en faisait détruire le site d’essais de Pungye-ri [sans, toutefois, la présence d’observateurs internationaux], Kim Jong-un réussit ce que son grand-père et son père échouèrent à obtenir : un dialogue avec un président des États-Unis, en l’occurrence Donald Trump. Lors d’une rencontre à Singapour, en juin 2018, il obtint même la suspension des manoeuvres militaires organisées chaque année par les forces américaines et sud-coréennes.

Seulement, le groupe d’experts des Nations unies chargé du surveiller l’application des sanctions prises à l’encontre de la Corée du Nord, l’Agence internationale de l’énergie atomique [AIEA], le renseignement américain et certaines puissance régionales, en particulier le Japon, émirent des doutes sur la bonne volonté de Pyongyang. En effet, la Corée du Nord fut alors soupçonnée de continuer ses activités nucléaires et balistiques en toute discrétion.

Reste que, peu à peu, les discussions diplomatiques avec les États-Unis s’étant enlisées [ce à quoi on pouvait s’attendre étant donné que l’on voyait mal le régime nord-coréen abandonner l’assurance-vie que lui procure l’arme nucléaire], Pyongyang donna des signes d’impatience. Les essais de missiles balistiques et d’armes nouvelles reprirent et Kim Jong-un se fit photographier devant un sous-marin présenté comme étant capable d’emporter des engins nucléaires [en réalité, un vieux « Romeo » d’origine soviétique modifié].

En octobre, le maître de Pyongyang se rendit au mont Paektu [culminant de la péninsule coréenne, nldr], comme il le fit à chaque fois qu’il devait prendre une décision politique cruciale. Détail important : il se laissa prendre en photograhie alors qu’il montait un cheval blanc… Un symbole loin d’être anodin puisqu’il renvoyait au roi Tongmyong, et donc à une période pendant laquelle la Corée [nord et sud] était fermée à toute influence étrangère.

En janvier, ayant promis un cadeau de Noël à Donald Trump, Kim Jong-un annonça la fin du moratoire nucléaire qu’il avait décrété quelques mois plus tôt. Après avoir mystérieusement disparu des écrans radar pendant quelques semaines [ce qui fit tourner la machine à rumeurs à plein régime], le chef du régime du nord-coréen réserva l’une de ses premières interventions publiques à une réunion au cours de laquelle fut évoqué le « renforcement de la dissuasion nucléaire ».

Entre-temps, précisement le 3 mai, un incident eut lieu dans la zone démilitarisée [DMZ] séparant le Nord et le Sud, avec des tirs contre un poste de gardes sud-coréens, suivis par une riposte de ces derniers. Le 26 mai, le Commandement des Nations unies [UNC] a indiqué, après enquête, ne pas être en mesure de déterminer « de façon définitive » si les soldats nord-coréens à l’origine de cet échange de tirs avaient agi intentionnellement ou par erreur. Mais elle fit le constat que les deux parties avaient enfreint l’accord d’armistice de 1953.

En tout cas, depuis maintenant plusieurs semaines, Pyongyang ne cesse de durcir le ton à l’égard de Séoul, en futigeant les tracts critiques à l’endroit de Kim Jong-un, envoyés depuis le sud via généralement des ballons. La semaine passée, la Corée du Nord a suspendu le canal de communication avec l’état-major sud-coréen, dont le rétablissement, il y a deux ans, avait symbolisé le « rapprochement historique » entre les deux Corées.

Puis, ce 16 juin, l’état-major général de « l’Armée populaire de Corée » a fait savoir qu’il travaillait à un plan pour « transformer en forteresse la ligne de front [la DMZ, ndlr] », ce qui suppose la réoccupation des zones jusqu’alors démilitarisées. La veille, fervent partisan du rapprochement, le président sud-coréen, Moon Jae-in, avait appelé à ne pas laisser se refermer « la fenêtre du dialogue »….

Ce dernier risque fort d’être déçu… Car, après la communication de l’état-major nord-coréen, Pyongyang, qui a repris sa réthorique martiale en qualifiant les Sud-Coréens « d’ennemis », a littéralement dynamité le bureau de liaison avec le Sud qui, situé à Kaesong, avait été ouvert en septembre 2018.

« Dans peu de temps, l’inutile bureau de liaison entre le Nord et le Sud sera complètement détruit au cours d’une scène tragique », avait prévenu Kim Yo-jong, la soeur de Kim Jong-un, le week-end dernier.

Reste à voir ce que cherche Pyongyang en risquant de provoquer une crise avec Séoul. S’agit-il de se rappeler au bon souvenir de Washington à un moment où le président Trump semble regarder ailleurs et où une campagne électorale est en cours? S’agit-il, dès lors, de relancer des discussions diplomatiques qui, en l’état actuel des choses, n’ont que très peu de chances d’aboutir? S’agit-il de faire monter à nouveau le niveau des menaces afin de « fixer » les forces américaines?

En tout cas, faute d’avoir des réponses à ces questions, la situation telle qu’elle est aujourd’hui est porteuse de menaces plus importantes qu’en 2017. D’autant plus que la Corée du Nord a, semble-t-il, étoffé son arsenal nucléaire, si l’on en croit les estimations livrées par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm [SIPRI].

« La menace que fait peser la Corée du Nord vis-à-vis de la Corée du Sud, du Japon mais aussi vis-à-vis de la non-prolifération internationale, est encore plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a deux ans, malgré l’absence d’essai nucléaire ou d’essai balistique à très longue portée comme en 2017. La question nucléaire nord-coréenne reste un problème extrêmement important pour la commuauté internationale », a ainsi résumé Antoine Bondaz, de la Fondation pour la recherche stratégique [FRS], auprès de RFI.

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