La France dénonce l’intervention « inacceptable » de la Turquie en Libye et l’instrumentalisation de l’Otan

Depuis quelques mois, les relations entre la France et la Turquie sont tendues. En octobre, l’offensive turque menée dans le nord-est de la Syrie, contre les milices kurdes syriennes, principales partenaires de la coalition anti-jihadiste au Levant, avait déjà donné lieu à une salve de critiques émises par Paris à l’endroit d’Ankara.

« Il importera […] de clarifier le statut de la Turquie comme alliée de l’Otan », lança Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, en évoquant le sommet de l’Otan devant se tenir en décembre 2019, à Londres.

Les visées de la Turquie sur les gisements potentiels de gaz naturel se trouvant dans la zone économique exclusive [ZEE] de la République de Chypre, membre de l’Union européenne, ont également contribué à alimenter les tensions entre Paris et Ankara. De même que le dossier des migrants, ce dernier étant instrumentalisé par Recep Tayyip Erdogan, le président turc.

L’exploitation gazière en Méditerranée orientale est l’une des raisons du soutien militaire fourni par la Turquie au gouvernement d’union national [GNA] libyen, avec lequel elle a signé un mémorandum d’accord sur ses frontières maritimes lui permettant d’étendre son plateau continental et, ainsi, d’assoir ses prétentions territoriales.

D’où les protestations de la Grèce, de la République de Chypre et de l’Égypte, ce dernier pays étant un soutien de l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar, et donc du gouvernement de Tobrouk, qui cherche à renversrer le GNA installé à Tripoli.

Malgré l’aide que leur apportent, notamment, l’Égypte, les Émirats arabes unis et la Russie, les forces du maréchal Haftar ont subi dernièrement une série de revers, en raison de l’intervention militaire turque, qui se traduit par l’envoi d’armes, de conseillers et de mercenaires recrutés parmi les groupes rebelles syriens pro-Ankara.

En mai, l’offensive qu’elle avait lancée un an plus tôt en direction de Tripoli s’étant soldée par un échec, l’ANL a reçu au moins 14 avions de combat [des MiG-29 et des Su-24], fournis par la Russie. Du moins, c’est ce que prétendent les États-Unis.

Ces livraisons d’armes aux profits des deux camps contreviennent aux résolutions des Nations unies. Ayant déjà des relations difficiles avec la Turquie [forages dans la ZEE chypriote, chantage aux migrants], l’Union européenne a lancé l’opération navale EUNAVFOR Irini, dont le mandat l’autorise à inspecter tout navire en haute mer en vue « d’assurer le strict respect » de l’embargo sur les armes imposé à la Libye depuis 2011.

Seulement, la semaine passée, la frégate grecque HS Spetsai, engagée dans l’opération Irini, a dû renoncer à inspecter la cargaison du cargo Cirkin, ce dernier étant protégé par la marine turque. Et il a donc continué sa route vers le port de Misrata, où, par ailleurs, Ankara envisagerait d’y établir une base navale permanente. Cet épisode a conduit l’UE a demandé de l’aide à l’Otan. Le 12 juin, un haut fonctionnaire européen a en effet confié à l’AFP qu’il s’agit de voir « comment nous pourrions trouver des arrangements » avec l’opération « Sea Guardian » menée par l’Alliance dans l’est de la Méditerranée.

Cela étant, ce n’est pas la première fois que la Turquie a agi de la sorte. En janvier, le président Macron avait dénoncé sa « duplicité », alors qu’il recevait à l’Élysée Kyriakos Mitsotakis, le Premier ministre grec, pour évoquer un partenariat stratégique de sécurité entre Paris et Athènes.

« Nous voyons ces derniers jours des navires turcs accompagner des mercenaires syriens arrivant sur le sol libyen, c’est en contravention explicite et gravissime avec ce que le président Erdogan s’était engagé à faire lors de la conférence de Berlin, c’est le non-respect de la parole donnée », avait ainsi accusé M. Macron, en évoquant une initiative diplomatie ayant réunis les belligérants du conflit libyen [avec leurs « parrains »] dans la capitale allemande.

Le 14 juin, le président français a livré une nouvelle charge à l’encontre d’Ankara, en dénonçant sa « politique de plus en plus agressive et affirmée […], avec sept navires turcs positionnés au large de la Libye et une violation de l’embargo sur les armes. » Et d’ajouter : « Les Turcs se comportent de manière inacceptable en instrumentalisant l’OTAN et la France ne peut pas laisser faire. »

En outre, l’Élysée a indiqué que « des échanges auront lieu dans les semaines à venir sur ce sujet avec les partenaires de l’Otan engagés sur place. »

En attendant, le rôle de la Turquie en Méditerranée devrait être évoqué lors de la rencontre, ce 15 juin à Paris, de M. Le Drian avec Nikos Dendias, son homologue grec.

Dans un entretien donné au quotidien Le Figaro, ce dernier a donné le ton. « Dans sa vaste tentative illégale d’étendre sa souveraineté et ses droits souverains en Méditerranée orientale, elle [la Turquie] prépare, avec des méthodes illégales, l’envoi de navires d’exploration dans la zone du plateau continental grec, tout en s’efforçant de la contester et de piller nos ressources sous-marines. Notre gouvernement ne laissera pas passer cela. » Et d’ajouter : « La Grèce apprécie particulièrement la position constante de notre alliée et amie, de la France. Paris a compris, dès le départ, que les provocations turques n’affectent pas que la Grèce et Chypre, mais concernent l’ensemble de l’Europe et du pourtour méditerranéen. »

Photo : Frégate turque au large de Tripoli / Archive

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