Le Service de santé des Armées est « aujourd’hui proche d’un point de rupture », prévient un rapport du Sénat

Durant l’épidémie de Covid-19, le Service de santé des Armées [SSA] a été fortement sollicité, ne serait-ce que dans le cadre de l’opération Résilence, lancée le 25 mars dernier. Ainsi, il a été mobilisé pour transférer des patients vers des hôpitaux qui n’étaient alors pas sous tension, accueilli des malades dans les siens et mis en oeuvre, d’abord à Mulhouse et maintenant à Mayotte, l’Élément Militaire de Réanimation du Service de santé des armées [EMR-SSA], déployé en un temps record avec l’appui du Régiment médical [RMED] de l’armée de Terre.

Au 1er mai, a témoigné le médecin chef des services hors classe (2S) Jacques Escarment, chef de l’élément militaire de réanimation à Mulhouse, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, « 321 militaires avaient participé au pôle EMR-SSA de l’opération Résilience, dont 230 du service de santé des armées, dont toutes les composantes furent mobilisées – hospitalière, médecine des forces, ravitaillement, recherche, épidémiologie, et 91 de l’armée de Terre ». Et, a-t-il précisé, « au maximum, 188 personnels ont été présents sur le site de Mulhouse, dont 136 personnels du SSA répartis en équipes équilibrées. »

Au total, à Mulhouse, l’EMR-SSA a fourni l’équivalent de 600 jours d’hospitalisation.

Représentant seulement 0,7% de l’offre de soins totale en France, les 8 hôpitaux d’instruction des armées [HIA] rescapés des dernières réformes ont réalisé 2% de l’activité de réanimation liée à la COVID-19 au niveau national. L’hôpital Bégin, établissement de référence de niveau 1 pour les risques infectieux émergent, a accueilli 30% des partients admis au sein des HIA. « Si nous ne sommes pas l’Ultima ratio de la santé publique, nous contribuons à la hauteur de nos moyens », a souligné le médecin général Édouard Halbert, chef de la cellule de crise COVID-19 du SSA, lors d’une autre audition à l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, le SSA a mobilisé 336 internes des hôpitaux des armées et élèves de l’Ecole du Val-de-Grâce pour renforcer les équipes des hôpitaux civils et militaires. Même chose pour les infirmiers anesthésistes et de bloc opératoire.

Dans le même temps, le SSA a continué à assurer sa mission première, c’est à dire le soutien médical aux forces armées, alors même que les opérations, notamment au Sahel, n’ont pas baissé d’intensité, bien au contraire. Et la contamination d’une partie importante des marins du groupe aéronaval [en particulier parmi l’équipage du porte-avions Charles de Gaulle] est venue s’ajouter à une activité déjà forte.

« Ce sont les personnels déjà sur-engagés du SSA qui ont dû faire face, avec un taux de projection des équipes médicales de 106 % et de 200 % pour les équipes chirurgicales », précise ainsi la sénatrice Christine Prunaud, qui a rédigé avec son collègue Jean-Marie Bockel, un rapport intitulé « Redonner du souffle au SSA ». Ce dernier a été examiné, le 10 juin, par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées.

Avec un effectif de 15.000 personnes et un budget d’environ 1,4 milliard d’euros par an, le SSA ne représente plus aujourd’hui que 1% de l’offre de soins en France. Et il a été frappé de plein fouet par les suppressions de postes décidées lors des précédentes Loi de programmation militaire [LPM], notamment celle ayant couvert la période 2009-14, ainsi que par la Révision générale des politiques publiques [RGPP]. Cela étant, certaines mesures pourvaient sembler adaptées à la nouvelle donne créée par la fin de la conscription.

Cependant, les déflations [-1.600 postes en cinq ans] et les coupes ont été trop loin. Ainsi, il lui manque désormais au moins 100 médecins et, comme le rappelle Mme Prunaud, il « ne tourne aujourd’hui que grâce à ses 3 000 réservistes pour assurer ses missions auprès des 31 000 militaires en opérations sur les théâtres extérieurs. »

Cette situation a d’ailleurs été au centre du dernier rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire [HCECM], lequel s’est dit « préoccupé » par l’avenir du SSA.

« Il manque par ailleurs 17 % des chirurgiens orthopédiques prévus en organisation et 10 % des chirurgiens viscéraux. Cette situation
est d’autant plus inquiétante que le service est aujourd’hui sur-engagé par rapport au contrat opérationnel qui lui a été fixé : les médecins généralistes sont à 110 ou 120 % des objectifs assignés et les chirurgiens à 200 % », avait décrit le HCECM.

Les réformes du SSA ont eu « un véritable effet de ciseaux […] : la diminution des moyens a été concomitante à l’intensification des missions en OPEX d’une part, avec à partir de 2013 l’engagement au Sahel, et en OPINT d’autre part, avec à partir de 2015, la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre [FOT], conséquence des attentats sur le territoire national », a rappelé Mme Prunaud.

Certes, la LPM 2019-25 actuellement en vigueur a mis un terme à la déflation des effectifs du SSA. Et elle prévoit même de les augmenter très modestement après 2023. Mais, pour le sénateur Jean-Marie Bockel, cela « paraît insuffisant ».

« Si la revue stratégique [de 2017] a bien pointé le risque d’une crise pandémique, les chiches moyens accordés par la loi de programmation militaire au SSA montrent que les conséquences n’en ont pas réellement été tirées », a fait valoir le sénateur du Haut-Rhin.

D’autant plus que, a-t-il fait observer, « face à la tension extrême sur ses moyens, le SSA est aujourd’hui proche d’un point de rupture. » Aussi, a-t-il estimé, « ses moyens et son rôle doivent être renforcés à l’occasion de l’actualisation de la LPM en 2021 ».

En outre, a continué M. Bockel, « d’autres mesures doivent être envisagées pour permettre de fidéliser des personnels sur-engagés et attirer des personnels civils en attendant la formation des futurs médecins militaires dont le nombre doit être revu à l’aune des besoins. » Aussi, a-t-il insisté, « l’actualisation de la LPM l’année prochaine sera le moment de calibrer la rénovation du SSA. »

Enfin, la féminisation du SSA pose des défis, ont souligné les deux rapporteurs. Un point qui avait déjà été soulevé dans le dernier rapport du HCECM.

« Pour ce qui est de la féminisation, c’est la question de la compatibilité des contraintes militaires avec les vies de famille, ou encore de la maternité, ce qui nous ramène en réalité à la question des effectifs. Ce sont des choses qui s’anticipent en termes d’effectifs globaux, permettant d’assumer cette dimension heureuse de la féminisation », a expliqué M. Bockel.

« Il y a a les arrêts liés à la maternité certes, mais le problème est en fait celui du manque de médecins. Pour y faire face, le SSA a recours à un nombre élevé de réservistes. Pour les femmes comme pour les hommes, cela constitue des difficultés de travail du fait d’une pression constante, dont nous sommes peut-être moins conscients par rapport à celle que subit la médecine publique de nos hôpitaux. Le problème se situe également au niveau de la rémunération », a résumé Mme Prunaud.

Photo : Ministère des Armées

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]