Le ministère des Armées n’exclut aucune piste pour être autonome en matière de transport aérien stratégique

Pour acheminer du fret « hors gabarit » sur des théâtres d’opérations extérieurs, les forces françaises ont deux possibilités : soit recourir à la Solution intérimaire pour le transport aérien stratégique [SALIS] dans le cadre de l’Otan, soit passer par une procédure dite « à bons de commande », qui repose sur des marchés notifiés à des acteurs privés [ce qui a donné lieu récemment à une enquête du Parquet national financier, sur la base de soupçons de trafic d’influence].

Quoi qu’il en soit, et même si le ministère des Armées aurait récemment, selon Challenges, retenu le courtier français Avico pour disposer d’avions de transport stratégiques « hors gabarits », la France n’a aucune autonomie dans ce domaine. C’est ce qu’avait d’ailleurs souligné le député François Cornut-Gentille, dans un rapport cinglant publié en mars 2017.

« Du point de vue des intérêts de la France, le contrat SALIS et le marché à bons de commande, loin de diversifier la flotte de gros-porteurs, ne desserrent pas l’étau de dépendance envers la Russie et l’Ukraine. Le ministère de la Défense et le ministère des Affaires étrangères sont ici des adeptes de la méthode Coué : les armées se satisfont du bon acheminement du fret et les diplomates de la solidité du couple franco-allemand au sein de l’Otan! Tous feignent de ne pas voir que, dans les faits, ce sont les Russes et les Ukrainiens qui ont la maîtrise de la projection de nos forces sur les théâtres extérieurs », fit valoir le député à l’époque.

En outre, que ce soit le contrat SALIS ou le marché à bons de commande, ces deux solutions reposent en particulier sur l’avion gros porteur Antonov An-124, capables de transporter en un coup d’ailes 100 à 120 tonnes d’équipements. Or, la question de leur remplacement finira par se poser bientôt, d’autant plus qu’ils sont rares et que leur production a été arrêtée.

D’où la question écrite adressée le 24 décembre 2019 par M. Cornut-Gentille au ministère des Armées à ce sujet.

« Tant pour la projection aérienne de forces que pour leur entretien, les forces françaises ont recours à des avions de transport Antonov-124 ayant la capacité d’emporter du fret hors gabarit. Ces avions ont été conçus il y a plus de trente ans et leur production a été interrompue. Le risque d’obsolescence est donc réel. […] Au nom de l’autonomie stratégique, la France ne peut se permettre de se reposer sur la Russie voire l’Ukraine pour disposer d’un tel type d’appareil. Aussi, il lui demande de préciser les intentions du Gouvernement quant à la réalisation d’un programme national ou en coopération d’avion de transport de fret militaire hors gabarit », a demandé le député.

En effet, la Russie développe un nouvel avion gros porteur, à savoir le Il-106 PAK VTA « Slon » [ou « Elephant »] pouvant transporter jusqu’à 200 tonnes de fret.

Dans sa réponse, publiée le 26 mai, le ministère des Armées a d’abord insisté sur le fait que « le déficit » en matière de capacité patrimoniale de transport stratégique serait progressivement comblé avec l’arrivée des A330 MRTT « Phénix » et des A400M « Atlas. »

Ces deux appareils « constitueront le cœur de la capacité en avions de transport stratégique [ATS], qui comprendra en 2028 un ensemble complémentaire et cohérent de 35 A400M et 15 MRTT », indique en effet le ministère. « Cette augmentation de capacité nationale sera complétée par une offre plus importante au travers de la coopération européenne, via l’European Airlift Transport Command et le Movement Coordination Centre Europe notamment, nos partenaires voyant également leurs flottes de MRTT et A400M monter en puissance », a-t-il ajouté.

S’agissant du recours à des avions « hors gabarit », le ministère dit n’exclure aucune piste. « Ces avions permettent […] de densifier un déploiement lorsque le temps est contraint [chargement pouvant aller jusqu’à 10 containers contre 2 dans un A400M et simplification des opérations de transit nécessitant moins de personnel] » et les seuls ayant une telle capacité sont « aujourd’hui l’An-125 et le C5″ Galaxy américain », rappelle-t-il.

« D’autres vecteurs [C17, Beluga, voire A380] offrent, ou pourraient offrir, des capacités complémentaires mais ne répondent pas au besoin strict de transport de fret hors gabarit », ajoute encore le ministère.

Cependant, précise ce dernier, une étude « n’excluant aucune piste est en cours avec la Direction générale de l’armement [DGA] pour évaluer le besoin dans ce domaine. » Et d’ajouter que ces travaux intégreront « un volet coopération » avec l’Allemagne.

En novembre 2018, lors d’une audition parlementaire, le chef d’état-major de l’armée de l’Air [CEMAA], le général Philippe Lavigne, avait évoqué une « piste européenne dans le domaine du transport aérien très lourd et de très gros volume », en citant le C-5 Galaxy, le C-17 et l’AN-124. « Une place existe certainement pour un avion européen de transport lourd volumineux. […] Nous disposons d’une belle industrie aéronautique pour faire face à ce défi », avait-il estimé.

La version cargo de l’A380, désignée « A380-800F », pouvant transporter jusqu’à 150 tonnes de fret, aurait pu être cette solution européenne s’il n’avait pas été annulée en 2007.

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