Ayant reçu des avions MiG-29 et Su-24, les forces du maréchal Haftar menacent de viser les intérêts turcs en Libye

Malgré le soutien des Émirates arabes unis et de l’Égypte et la présence de la société militaire privée [SMP] russe Wagner ainsi que celle, selon un rapport des Nations unies récemment évoqué par l’AFP, de combattants envoyés par Damas à Benghazi, l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Khalifa Haftar a subi un lourd revers, le 18 mai, en perdant la base aérienne d’al-Watiya, lors d’une offensive des milices du Gouvernement d’union nationale [GNA], appuyées par des drones Anka-S fournis par la Turquie.

Pour rappel, l’ANL relève du gouvernement de Tobrouk, issu du Parlement élu en juin 2014. Sous le commandement du maréchal Haftar, elle a mené l’opération Dignité pour « nettoyer » l’Est et le Sud de la Libye de la présence de groupes jihadistes. Puis, en avril 2019, elle a lancé une offensive pour s’emparer de Tripoli, où est établi le GNA, conduit par Fayez al-Sarraj et soutenu par des milices dont certaines sont proches de la confrérie des Frères musulmans.

Reconnu par la communauté internationale – officiellement, du moins, ce qui a permis un soutien américain pour chasser l’État islamique de la ville de Syrte, en 2016 – le GNA bénéficie de l’appui du Qatar et, surtout, de la Turquie, pays avec lequel il a signé un protocole d’accord sur les frontières maritimes afin de lui permettre d’étendre son plateau continental et de lorgner sur l’exploitation de gaz naturel au large de la République de Chypre.

Quoi qu’il en soit, située à 140 km à l’ouest de Tripoli et contrôlée par l’ANL depuis 2014, la stratégique base d’al-Watiya a fait l’objet d’au moins trois assauts lancés par les troupes du GNA depuis le début, fin mars, de l’opération « Tempête de paix ». Le soutien de la Turquie aura été décisif, les drones turcs [Anka-S, Bayraktar TB2] ayant détruit les défenses aériennes de cette emprise militaire, constituées notamment de systèmes Pantsir-S de facture russe.

Mais la perte de la base d’al-Watiya que la suite d’une succession de revers subis par l’ANL depuis plusieurs semaines. Mi-avril, elle a été contrainte de se retirer des localités de Sabratha et de Sorman, situées à environ 70 km de la capitale. Un temps sur la défensive face à la puissance de feu des troupes du maréchal Haftar, les milices pro-GNA ont pu renverser le rapport de force grâce à un soutien de plus en plus marqué d’Ankara, qui, par ailleurs, a envoyé à Tripoli des rebelles syriens qui lui sont acquis.

Malgré les appels au cessez-le-feu et à la tenue de négociations en vue d’obtenir une solution politique, le conflit ne cesse de prendre de l’ampleur, les deux camps recevant des armes et des équipements militaires que leur envoient leurs parrains respectifs, malgré l’embargo imposé par les Nations unies [d’où le lancement de l’opération navale européenne Irini pour tenter de le faire respecter].

Les revers subis par l’ANL pourrait conduire ses parrains à s’impliquer davantage dans le conflit. Telle est, en tout cas, l’intention prêtée à Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien. En décembre 2019, ce dernier avait prévenu : Le Caire n’autoriserait « personne à contrôler la Libye », avait-il en dit au sujet l’implication de la Turquie.

La semaine passé, rapporte RFI, le président égyptien a précisé son propos lors d’une déclaration à la télévision, en évoquant une intervention militaire directe si les troupes du maréchal Haftar devaient être « mises en difficulté dans leur lutte contre le terrorisme. » Pour un diplomate, « un affrontement direct entre la Turquie et l’Égypte sur le sol libyen – et plus seulement par procuration – compliquerait encore davantage le retour à la paix. »

Par ailleurs, la présence de Mirage 2000-9 appartenant à la force aérienne des Émirats arabes unies, a récemment été confirmée, six appareils de ce type ayant été photographiés alors qu’ils se trouvaient sur la base aérienne de Sidi Barrani.

Quoi qu’il en soit, les moyens aériens du maréchal Haftar ont récemment été renforcés, avec la livraison de plusieurs avions de combat, dont 6 Mig-29 « Fulcrum » [l’un d’eux a été photographié sur la base aérienne « al-Jufrah », ndlr] et 2 Su-24 « Fencer ». L’origine de ces appareils reste à éclaircir.

Selon le ministre de l’Intérieur du GNA, Fathi Bashagha, ces avions de combat auraient décollé de la base russe de Hmeimim [Syrie] pour rejoindre la Libye, en étant escorté par deux Su-35 des forces aériennes russes. Des informations – non confirmées – indiquent que les MiG-29 seraient partis d’Astrakhan [Russie] avant de faire une escale à Hamadan [Iran], avant d’atterrir en Syrie pour repartir ensuite vers l’est libyen. La présence d’un avion de transport Tu-154 a même été évoquée. À noter que la Russie dément toute implication dans ce transfert.

Selon Scramble, les MiG-29 et les Su-24 auraient appartenu à la Biélorussie, avant d’être acquis par les Émirats arabes unis pour renforcer la composante aérienne de l’ANL. D’autres sources avancent que ces avions seraient en réalité fournis par la Syrie, Damas et le gouvernment Tobrouk ayant récemment resseré leurs liens.

Cependant, la question est de savoir qui mettra en oeuvre ces appareils, le MiG-29 n’ayant jamais été en service en Libye. Des pilotes syriens? biélorusses?

Cela étant, l’ANL semble certaine de son fait. En effet, le chef de son aviation, le général Saqr al-Jaroushi, a promis, auprès de l’agence Bloomberg, de lancer la « plus grande campagne aérienne de l’histoire de la Libye », en précisant que « toutes les positions turques sont désormais des cibles légitimes ».

« Si les intérêts turcs en Libye sont ciblés, nous viserons légitimement les éléments du comploteur Haftar », a rétorqué le ministère turc des Affaires étrangères, le 21 mai. Ce qui ne devrait pas laisser l’Égypte de marbre…

Dans le même temps, le porte-parole de l’ANL, le général Ahmed al-Mismari, a accusé le GNA d’avoir de nouveau violé l’embargo sur les armes après avoir reçu, de la part de la Turquie, « au moins huit systèmes de lance-roquettes multiples turcs de 107 mm T-107, 10 drones d’attaque, environ 70 véhicules de combat blindés Kirpi et Vuran, plus de 260 véhicules tout-terrain fabriqués en Turquie et plus de 100 mitrailleuses lourdes. »

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