Pour la première fois depuis la Guerre froide, l’US Navy a envoyé des navires en mer de Barents

Portant le nom d’un explorateur néerlandais [Willem Barents, ndlr] et occupant une position stratégique dans la région de l’Arctique car située sur le trajet de la Route maritime du Nord [RMN], la mer de Barents est délimitée par la Norvège à l’ouest et par la Russie à l’est. Ce qui fait que, pendant longtemps, ces deux pays ont un différend territorial portant sur sa partie sud, laquelle est libre de glace durant la majeure partie de l’année tout en recelant d’importantes ressources halieutiques et gazières.

Il fallut attendre 2010 pour voir la Russie et la Norvège signer un accord mettant un terme à leur dispute territoriale. Cette issue avait été favorisée par Jens Stoltenberg, l’actuel secrétaire général de l’Otan, à l’époque où il était à la tête du gouvernement norvégien.

Cependant, des tensions entre Moscou et Oslo ne sont pas complètement éteintes… Notamment au sujet de l’archipel de Svalbard. La Norvège obtint la reconnaissance de sa souveraineté sur ce territoire en 1920, dans la foulée de Conférence de Paris, en échange de sa démilitarisation.

Mais l’Union soviétique garda toujours un oeil sur cet archipel, la mer de Barents étant le « bastion » de sa Flotte du Nord. Comme elle l’est d’ailleurs encore actuellement. Or, l’an passé, il a été rapporté que des activités militaires russes y avaient été détectées… Et le e contre-espionnage norvégien, le Politiets Sikkerhetstjeneste [PST], se refusa à faire moindre commentaire.

Cela étant, depuis une dizaine d’années, et en raison des dérèglements climatiques, l’Arctique est (re)devenu une priorité pour la Russie, qui y a renforcé sa présence militaire via le déploiement de capacités de déni et d’interdiction d’accès, la réhabilitation des bases abandonnées depuis la période soviétique et la création d’unités spécialisées.

« La Norvège ne se fait pas d’illusion sur la politique russe. Elle constate le regain d’activité militaire à proximité de son territoire [y compris le déploiement de systèmes Iskander lors d’exercices] et craint le risque de ‘débordement’ d’une crise entre Moscou et l’Alliance atlantique. Elle sait que cette politique s’inscrit dans le cadre d’un ‘réveil russe’ qui concernerait l’Arctique tout autant que le reste de son environnement régional, et qui mêle affirmations de souveraineté et intérêts économiques [ressources, transport]. Elle voit la stratégie russe dans l’Arctique […] comme une question de ‘très long terme' », expliquait Bruno Tertrais, dans une récente note [.pdf] de la Fondation pour la recherche stratégique [FRS].

Pour autant, poursuit M. Tertrais, la Norvège ne tient pas à braquer la Russie, qu’elle perçoit comme un « défi stratégique » et non comme une menace. Aussi, explique-t-il, c’est la raison pour laquelle elle « rejeté le principe d’une défense de l’avant au bénéfice de celui de la défense totale » et souhaité « très délibérément que l’exercice Trident Juncture 2018 se déroule au milieu du pays, et non pas au nord ». En outre, Oslo ne veut pas de stationnement permanent d’unités de l’Otan sur son territoire, ni que ses espaces aériens et maritimes soient surveillés par les alliés.

Toutefois, cette retenue norvégienne n’est pas perçue comme telle à Moscou, où l’on reproche à Oslo sa « participation active dans les plans de l’Otan visant à accroître la présence de l’Alliance dans la région arctique », avec la création d’une infrastructure dédiée aux escales de sous-marins alliés près de Tromsø ou l’exploitation de radars Globus II et Globus III installés sur l’île de Vardø, grâce à un financement américain. D’ailleurs, l’aviation russe a simulé leur bombardement en 2017 depuis la péninsule de Kola, bordée par la mer de Barents.

Et les forces norvégiennes sont régulièrement mises à l’épreuve par l’activité militaire russe dans son environnement immédiat, comme cela a encore été le cas les 29 et 30 avril, avec les interceptions, par des F-16 et des F-35A, d’un avion d’alerte avancé A-50 et de deux bombardiers russes Tu-22 avec leur escorte.

Quoi qu’il en soit, l’importance de l’Arctique et les tensions avec la Russie depuis l’affaire de la Crimée font que, à l’instar de l’Islande, la mer de Barents retrouve l’intérêt qu’elle avait durant la Guerre Froide. D’autant plus qu’elle est le point de départ des sous-marins russes susceptibles d’opérer dans le passage dit GIUK [Groenland – Islande – Royaume-Uni], crucial pour les liaisons entre l’Amérique du Nord et l’Europe.

Signe de cette importance retrouvée : la présence, après un exerice de guerre anti-sous-marine en mer de Norvège, de 4 bâtiments de l’US Navy et de la frégate HMS Kent de la Royal Navy en mer de Barents, le 4 mai. La formation américaine était composée des destroyers de type Arleigh Burke USS Donald Cook, USS Porter et USS Roosevelt et le navire auxiliaire USNS Supply. Ce ne s’était plus vu depuis les années 1980.

Selon l’US Navy, cette opération a été menée pour « affirmer la liberté de navigation et démontrer l’intégration sans faille des forces alliées. Et de préciser que le ministère russe de la Défense avait été prévenu le 1er mai, « afin d’éviter tout malentendu, de réduire les risques et de prévenir toute escalade accidentelle. »

« En ces temps difficiles, il est plus important que jamais que nous maintenions notre rythme opérationnel à travers le théâtre européen, tout en prenant les mesures nécessaires pour protéger la santé de nos forces », a commenté le vice-amiral Lisa Franchetti, qui commande la 6e Flotte de l’US Navy.

De son côté, le chef du Pentagone, Mark Esper, a justifié l’intérêt de ce type d’opération, à l’heure où l’épidémie de Covid-19 a limité les mouvements des forces américaines au cours de ces dernières semaines. « Nous voyons l’activité de la Chine s’amplifier en mer de Chine méridionale. Nous voyons les Russes continuer à tester notre défense aérienne en Alaska et à la frontière nord », a-t-il dit.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]