Le porte-avions Charles de Gaulle devait-il être déployé au large de la Libye avant de revenir à Toulon?

Le dossier de presse diffusé par la Marine nationale au moment du départ du groupe aéronaval [GAN] formé autour du porte-avions Charles de Gaulle [Task Force 473], le 21 janvier dernier, n’entra pas dans les détails de la mission Foch.

« De janvier à avril 2020, […] cette force navale sera engagée en Méditerranée orientale dans le cadre de sa participation à l’opération Inherent Resolve/Chammal. Ce déploiement marque également le retour du GAN en océan Atlantique et en Mer du nord, 10 ans après son dernier déploiement dans la zone », y était-il seulement précisé.

Effectivement, la mission Foch commença par un déploiement en Méditerranée orientale, avec un engagement dans l’opération Chammal, au Levant. Puis, début mars, le GAN mit le cap vers l’océan Atlantique, pour une escale à Brest [13/16 mars].

Puis, au bout de deux semaines, et alors que les prises pour éviter la propagation de l’épidémie de Covid-19 venaient d’être assouplies, les premiers cas de marins contaminés apparurent à bord du porte-avions. Ce qui motiva, le 7 avril, la décision d’écourter d’une dizaine de jours la mission Foch.

Depuis, l’enquête épidémiologique a permis de constater que 60% des marins du Charles de Gaulle avaient été contaminés par le Covid-19. Ce qui a contraint le chef d’état-major des armées [CEMA] à s’en expliquer dans les médias, notamment lors du journal de 20 heures sur TF1 [le 18 avril] et, le lendemain, au cours de la matinale de France Inter.

« Après l’escale à Brest et après les premiers cas [de Covid-19] connus à bord, pourquoi était-il impératif de repartir en mission, malgré tout? », a ainsi demandé le journaliste Éric Delvaux au général Lecointre, sur les ondes de la radio publique.

Dans sa réponse, le CEMA n’a pas eu un mot sur l’engagement du GAN en mer du Nord et en Manche… « La cinématique générale de la mission du ‘Charles de Gaulle’ prévoyait qu’il devait rentrer plus tard à Toulon, qui est son port d’attache, et que nous avions à la fois des exercices de qualification d’équipage, en particulier des pilotes, à faire et que, d’autre part, son trahir de secret défense, nous avions des opérations à conduire en Méditerranée, avant d’arriver à Toulon », a-t-il répondu.

Au premier abord, on pouvait penser que le général Lecointre avait commis un lapsus étant donné que, après avoir quitté Brest, les Rafale M du groupe aérien embarqué [GAé] du porte-avions allèrent notamment se mesurer avec les F-35A et les F-16 néerlandais, lors de l’exercice Frisian Resilience – vpir photo]. En revanche, le GAN a effectivement pris le cap retour après une escale logistique à Copenhague, le 30 mars. C’est d’ailleurs vers cette date que les premiers cas de Covid-19 sont apparus.

En outre, le général Lecointre a tordu le cou à l’affirmation selon laquelle le commandant du « Charles de Gaulle », le capitaine de vaisseau Guillaume Pinget, aurait demandé de mettre un terme à la mission, en raison de ces cas de Covid-19. À ce propos, cette requête aurait dû être faite non pas par ce dernier mais par le commandant de la Task Force 473, c’est à dire le contre-amiral Marc Aussedat.

Quoi qu’il en soit, le CEMA a démenti qu’une telle demande ait été faite. « De toute façon, il fallait que le bateau retourne à son port d’attache. Donc, il aurait été absurde de la part du commandant du bateau de demander une interruption de sa mission puisque, dans le meilleur des cas, c’était la façon la plus rapide, en reprenant la mer, de rentrer à Toulon », a-t-il dit. Reste que le général Lecointre a semble-t-il confondu les dates. « Le départ de l’escale s’est fait le 16 [mars], appareillage en direction de la Méditerranée », a-t-il répété lors de son intervention sur les ondes de France Inter.

Cela étant, comme le GAN relevé de son autorité quand il est en mer, le fait que le CEMA insiste sur ces opérations en Méditerranée suppose que le porte-avions devait être engagé dans une dernière mission avant de rentrer à Toulon. C’est, en tout cas, l’interprétation que fait le blog Bruxelles2 des propos qu’il a tenus à l’antenne de France Inter.

Reste à voir quelle était l’opération en question. « Le porte-avions a déjà participé à l’opération Chammal » et il n’était donc « pas prévu, à ce stade, qu’il y soit réengagé tout de suite », a aussi dit le général Lecointre. Ce qui suggère qu’une participation à l’opération navale européenne Irini, lancée le 30 mars, était dans les tuyaux. D’autant plus que, pour le moment, cette dernière est au point mort, faute de bâtiments.

Pour rappel, l’opération EUNAVFOR MED Irini vise à faire respecter l’embargo des Nations unies sur les armes appliqué à la Libye, conformément à la résolution 2292 (2016) du Conseil de sécurité. Comme celle à laquelle elle doit succèder [opération Sophia, ndlr], elle est commandée par un amiral italien, depuis Rome.

La participation du « Charles de Gaulle » à cette opération ne pouvait pas être annoncée en janvier, étant donné que son principe donnait encore matière à débat entre les membres de l’UE.

Par ailleurs, dans l’entretien qu’il a donné au quotidien Le Monde [édition du 21 avril], le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a justement évoqué la situation libyenne en répondant à une question portant sur la place de la Turquie au sein de l’Otan.

« Nous nous interrogeons sur le comportement de la Turquie. Sa présence au sein de l’Otan, tout en choisissant des dispositifs antiaériens russes, lorsque, en Libye, elle fait transférer des ‘proxies’ syriens pour participer au conflit et mobilise d’importants moyens [bateaux, drones…], comme dans la baie de Misrata, quand l’immigration devient un sujet de chantage, quand, en Méditerranée orientale, des bateaux participent tantôt à l’action de présence de l’Otan, tantôt à la sécurisation de zones qu’elle s’approprie… Cela fait beaucoup! », a dit M. Le Drian.

Photo : Marine nationale

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