L’armée tchadienne a subi de lourdes pertes lors d’une attaque jihadiste, avec au moins 92 tués et 47 blessés

En 2015, dans la cadre d’une Force multinationale mixte [FMM] formée par les pays de la commission du lac Tchad, N’Djamena avait engagé 5.000 soldats dans une opération visant à endiguer la progression du groupe jihadiste nigérian Boko Haram, qui multipliait alors les exactions dans le nord du Nigéria et du Cameroun ainsi que dans le sud du Niger.

Cette intervention des troupes tchadiennes, probablement plus aguerries que ses homologues de la FMM, avait permis de porter des coups sévères à l’organisation jihadiste, au prix, cependant, de combats meutriers. En avril 2015, le général Brahim Seid, alors chef d’état-major de l’armée tchadienne, avait donné le bilan de 71 tués et de 416 blessés parmi ses troupes.

Seulement, les gains obtenus face à Boko Haram furent de courte durée, en raison notamment d’un manque de coordination entre les unités de la FMM [les forces tchadiennes durent s’employer, par exemple, à reprendre plusieurs fois des villages d’où les jihadistes avaient été chassés] et du peu d’empressement d’Abuja à coopérer.

Par la suite, Boko Haram s’est scindé en deux factions, une partie du groupe ayant pris le nom de « Province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest » [Wilayat Gharb Ifriqiyya – ISWAP], Abu Musab al-Barnawi ayant défié, avec le soutien de l’État islamique [EI ou Daesh], l’autorité d’Abubakar Shekau.

Depuis, le « canal historique » de Boko Haram, toujours dirigé par Shekau, a repris de la vigueur, en s’attaquant surtout à des cibles civiles. Dans le même temps, l’ISWAP, désormais commandé par Abu Abdullah al-Barnawi, a multiplié les assauts contre les bases des forces nigérianes, détruisant ainsi le moral de ces dernières tout en accroissant significativement ses capacités militaires.

Par ailleurs, l’ISWAP s’est rapproché de l’État islamique au grand Sahaha [EIGS], une organisation active surtout dans la région dite des trois frontières, car située aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Selon le dernier rapport de l’équipe d’appui analytique des sanctions de l’ONU relatif à al-Qaïda et à l’EI, les deux groupes « ont déjà des facilitateurs communs, ce qui laisse présager un renforcement du lien opérationnel entre les théâtres du Sahel et du bassin du lac Tchad. »

« Durant la période considérée, le groupe ‘Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique’ a poursuivi ses opérations avec un grand succès, notamment en menant des raids contre les forces de sécurité, ce qui lui a permis de récupérer un important butin de guerre sous forme d’équipements et autres fournitures. Il compterait un nombre indéterminé de combattants terroristes étrangers, sans doute issus du Tchad, de Libye ou d’autres pays d’Afrique du Nord. Il a dépassé la faction de Boko Haram d’Abubakar Mohammed Shekau [tant en termes de capacité que de nombre de combattants] », explique ce même document des Nations unies.

C’est donc dans ce contexte que, le 23 mars, l’armée tchadienne a subi de très lourdes pertes lors d’une attaque lancée par des jihadistes sur la presqu’île de Bohoma, dans la région du Lac Tchad. Les combats ont duré plus de 7 heures et les renfors envoyés sur place se sont embourbés, avant d’être aussi pris pour cible, selon les propos recueillis par l’AFP auprès de sources militaires.

Cette attaque a été lancée vers 5 heures du matin alors que « les assauts de Boko Haram se produisaient jusqu’à présent vers minuit », a avancé l’une d’elles.

« Le camp se trouve sur une île où tous les axes sont étroitement contrôlés par les éléments de Boko Haram, ils ont quitté les lieux de leur propre gré, sans qu’ils ne soient contraints ou mis en déroute par l’armée tchadienne », a expliqué une autre source. « L’ennemi a porté un coup dur à notre système de défense dans cette zone », a estimé un officier tchadien ayant demandé l’anonymat. Un autre a précisé que 24 véhicules ont été détruits, dont des blindés. Et que les assaillants ont fait main basse sur du matériel militaire, emporté sur cinq hors-bords.

Le bilan de cette attaque est le plus lourd que l’armée tchadienne a subi au cours de ces dernières années, avec au moins 92 tués et 47 blessés, évacués vers N’Djamena par « nos propres moyens », a indiqué Idriss Déby Itno, le président tchadien, qui s’est rendu sur les lieux pour « s’incliner » devant la mémoire des soldats morts au combat. C’est la « première fois » qu’il perdait autant d’hommes.

« Nous allons revoir tout notre dispositif pour éviter ce que Bohoma a connu », a assuré M. Déby, avant de souligner le courage et la combativité des soldats tombés lors de cette attaque jihadiste.

Cela étant, il n’est pas certain que cette attaque ait été menée par Boko Haram, la distinction entre l’ISWAP et la formation dirigée par Abubakar Shekau n’étant pas toujours faite. En effet, les assaillants ont diffusé une vidéo des combats de Bohoma… Et les images portent le logo de la province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique [voir ci-dessus]. D’ailleurs, si l’on en croit le dernier rapport de l’ONU [publié en janvier, ndlr], seule cette formation a les capacités de mener une telle action contre les troupes tchadiennes.

Par ailleurs, le 23 mars, l’ISWAP a tendu une embuscade à un convoi de l’armée nigériane dans la région de Konduga [État du Borno, nord-est du pays]. Le bilan, là encore, est élevé puisqu’au moins 70 soldats y ont laissé la vie. « Les terroristes ont spécifiquement visé un camion chargé de lance-roquettes RPG et de grenades avant d’incendier le véhicule », a expliqué une source militaire à l’AFP.

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