Dépourvue de défense aérienne, l’Irlande s’inquiète de l’activité des avions militaires russes dans son voisinage

En l’espace d’une semaine, les forces aériennes norvégiennes et britanniques ont fait décoller des avions de combat placé en alerte [QRA, Quick Reaction Alert] pour identifier, à trois reprises, des avions militaires russes approchant la zone d’identificiation aérienne dont elles ont la responsabilité.

Ainsi, après des avions de patrouille maritime Tu-142 « Bear F » ayant volé en approche de la Norvège et du Royaume-Uni, les 7 et 11 mars, les F-16 norvégiens et les Typhoon britanniques ont intercepté deux bombardiers stratégiques russes Tu-160 « Blackjack » le 12 mars.

À chaque fois, les appareils russes, transpondeur éteint, ont suivi une trajectoire passant par le nord de l’Écosse et l’ouest de l’Irlande afin de se rendre ensuite dans le golfe de Gascogne. Puis, ils ont fait demi-tour au large de la Bretagne et pris le même chemin par lequel ils étaient arrivés. À noter que, pour le moment, le ministre des Armées n’a pas communiqué sur d’éventuelles actions de de l’armée de l’Air pour identifier les Tu-142 « Bear F » et les Tu-160 « Blackjack », contrairement à ses homologues norvégien et britannique.

Cette activité de l’aviation militaire russe a fini par inquiéter en Irlande. Membre de l’Union européenne [UE], ce pays neutre dispose d’une force aérienne, appelée « Irish Air Corps ». Mais, contrairement à la Suisse, également neutre, il est dépourvu d’avions de combat et de radars, la défense de son espace aérien ayant jusqu’à présent fait l’objet d’un « pacte secret » avec le Royaume-Uni.

Cependant, a fait valoir Edward Burke, professeur adjoint au Center for Conflict de l’Université de Nottingham, dans les colonnes de l’Irish Post, à terme, les « incursions russes peuvent non seulement porter atteinte à la souveraineté irlandaise. Elles comportent également un risque potentiel pour la sécurité. »

Sur ce point, le ministère irlandais des Transports a confirmé que l’Irish Aviation Authority avait été obligée d’avertir les vols commerciaux et privés évoluant dans l’espace qu’elle surveille de la présence d’avions russes volant avec leur transpondeur éteint.

Commandant suprême des forces alliées en Europe [SACEUR] entre 2009 et 2013, l’amiral américain James Stavridis a estimé que cette activité de l’aviation militaire russe à proximité de l’Irlande n’allait pas s’arrêter de sitôt. « La Russie continuera de sonder les eaux stratégiquement importantes situées à l’ouest de l’Irlande, avec des vols de longue durée et la présence de sous-marins », a-t-il confié à quotidien Irish Times.

Les missions assurées par les avions de patrouille maritime, les bombardiers et les ses sous-marins russes visent notamment une zone délimitée par le Groenland, l’Islande et le Royaume-Uni [et donc appelée GIUK]. Effectivement, son contrôle est particulièrement important pour l’Otan afin de maintenir les liaisons maritimes entre l’Amérique du Nord et l’Europe.

Par ailleurs, toujours les explications de l’amiral Stavridis, ces vols d’avions militaires russes permettent à Moscou de « démontrer ses capacités militaires, de créer des divisions au sein de l’Otan quant à la manière d’y réagir. »

Dans cette zone GIUK, l’Islande compte sur l’Otan pour assurer sa défense aérienne. Ce que ne peut pas faire l’Irlande puisqu’elle ne fait pas partie de l’Alliance. Or, à l’occasion de Slándáil 2020, une conférence sur sécurité nationale organisée à Dublin en février, le général Ralph James, un ancien responsable de l’Irish Air Corps, a estimé que l’Irlande est « probablement l’État le plus vulnérable d’Europe. » Et d’ajouter que de se dire « neutre » est loin d’être suffisant. « La neutralité impose un fardeau dans la mesure où l’on doit interdire notre espace aérien aux parties qui s’opposent », a-t-il affirmé. En outre, en l’état actuel de la situation, les forces irlandaises sont dans l’incapacité d’intercepter un avion de ligne qui aurait été détourné par des terroristes.

Aussi, la question de doter l’Irlande d’avions de combat et d’un système de défense aérienne [c’est à dire des radars] est désormais posée. Lors de la conférence Slándáil 2020, il a été avancé que l’Irish Air Corps devrait diposer d’au moins 16 chasseurs.

Cependant, le général James a souligné une évidence : doter l’Irlande d’une défense aérienne en partant de rien serait extrêmement coûteux et compliqué. Outre l’achat d’un nombre limité d’avions de combat et de radars, il faudrait former les pilotes, les techniciens et les contrôleurs aériens et assurer leur entraînement. Aussi s’est-il demandé s’il ne valait pas mieux se concentrer sur d’autres capacités « clés », notamment dans le domaine naval.

L’amiral Stavridis estime également que la mise en place d’une défense aérienne « sophistiquée » est probablement hors de portée pour l’Irlande. Selon lui, rapporte The Irish Times, la meilleure solution passer par un « accord de coopération avec l’Otan, via le Royaume-Uni tout en faisant appel aux forces de l’Union européenne. »

« L’Irlande pourrait proposer d’accueillir des avions de l’UE ou de l’Otan, peut-être de la France ou de l’Allemagne, dans un arrangement similaire à celui qui a été mis en place pour les pays baltes », a déclaré l’amiral Stavridis.

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