Les États-Unis mettent la pression sur l’Indonésie pour l’empêcher d’acquérir 11 chasseurs russes Su-35

Le 17 février 2018, l’Indonésie annonçait son intention de se procurer 11 avions de supériorité aérienne Su-35 « Flanker E » auprès de Moscou, via un mécanisme de financement peu banal puisque la moitié du montant du contrat [1,14 milliard de dollars] devait être honorée par la livraison de « produits de première nécessité » [thé, caoutchouc, huile de palme, etc] à la Russie.

Depuis, ce projet a fait l’objet de maintes déclarations contradictoires de la part des autorités indonésiennes. Ainsi, en juin dernier, Ryamizard Ryacudu, alors ministre de la Défense, avait assuré à l’agence de presse russe TASS que le contrat était encore en cours de finalisation… Et qu’il allait même être signé d’ici la fin l’année 2019.

Le responsable indonésien avait mis ce « retard » non pas sur le dos de l’électrion présidentielle qui venait d’avoir lieu mais la lenteur de deux autres ministères impliqués dans la négocation avec Moscou, dont ceux du Commerce et des Finances. En outre, selon la législation du pays, la « loi 16 » impose au gouvernement d’obtenir des compensations industrielles dans le cadre des marchés publics liés à la défense. Et, Djakarta aurait demandé à la partie russe d’implanter une unité de production de pièces détachées sur l’archipel, avec des transferts de technologie à la clé.

Puis, en novembre dernier, le ministère indonésien de la Défense qui venait changer de titulaire, a fait part de son souhait d’acquérir deux escadrons de F-16 Block 70/72 Viper auprès du constructeur américain Lockheed-Martin.

Un tel projet n’était pas de nature à remettre fondamentalement en cause le contrat des 11 Su-35 « Flanker E » étant donné que Djakarta a l’habitude de ne pas mettre ses oeufs dans le même panier en matière d’armement. C’est ainsi que la force aérienne indonésienne dispose d’avions de combat russes [Su-27 et Su-30] et américains [F-5 Tiger, que les Su-35 sont censés remplacer, et F-16 B/C].

Seulement, depuis février 2018, et malgré les propos rassurants de Ryamizard Ryacudu, le contrat relatif aux Su-35 n’est toujours pas entré dans les faits. Fin janvier, le nouveau ministre indonésien de la Défense, Prabowo Subianto, s’est rendu Moscou pour, a-t-il été dit, évoquer la suite à donner à cette affaire. Et CNN Indonesia a évoqué un des « problèmes techniques » ayant entravé le processus d’achat.

Mais ces hésitations pourraient avoir une autre raison : le CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act], c’est à dire une loi américaine selon laquelle Washington peut [et même doit] prendre des sanctions à l’égard de toute entité tentée de se procurer du matériel militaire auprès de la Russie.

Cependant, certains pays sont passés outre le risque de sanctions américaines. Notamment ceux qui ont certain poids stratégique, comme l’Inde. Dans l’Indonésie, les choses sont un peu plus compliquées… en particulier parce que la Chine lorgne sur les îles Natuna, pourtant situées à 3.000 km de ses côtes. La présence de bateaux de pêches accompagnés par les gardes-côtes chinois y est régulière, ce qui donne lieu à des tensions entre Djakarta et Pékin. Aussi, si la situation venait à dégénérer, sans doute que les autorités indonésiennes estiment qu’il vaudrait mieux avoir les États-Unis de son côté…

D’après l’agence Bloomberg, l’adminstration Trump ferait pression sur le gouvernement indonésien pour le dissuader d’acquérir les 11 Su-35 russes. Et de citer un responsable « familier du dossier », selon lequel Djakarta aurait effectivement renoncé à ce contrat.

« La décision d’annuler les accords est intervenue après que des responsables américains ont clairement indiqué que l’Indonésie pourrait être sanctionnée pour ses relations avec la Russie », a confié ce responsable à Bloomberg. « Les Américains ont plutôt demandé aux Indonésiens d’envisager d’acheter des F-16 Viper », a-t-il continué. Mais, a-t-il dit, « l’Indonésie voudrait plutôt négocier l’achat d’avions F-35 ». Ce qui semble assez curieux, ce type d’appareil n’étant pas un avion de supériorité aérienne…

Sollicitée par Bloomberg, Mme l’ambassadeur de Russie en Indonésie, Lyudmila Vorobieva, a dénoncé une « concurrence déloyale » exercée par Washington. « Ce n’est pas un secret que les États-Unis exercent une pression non déguisée sur les pays qui ont l’intention d’acheter des équipements de défense russes », a-t-elle fustigé.

Cependant, les autorités russes ont fait savoir qu’elles n’avaient reçu aucune notification de la part de leurs homologues indonésiennes pour les prévenir de l’annulation de la commande de ces 11 Su-35.

En tout cas, à la lumière de ces tractations en coulisse, on comprend mieux le sens de la récente visite à Paris de Prabowo Subianto, ce dernier ayant, aux dires de l’ambassade d’Indonésie en France, « discuté des efforts visant à renforcer la coopération en matière de la défense » entre Paris et Djakarta.

Le Djakarta Post avait même précisé, à l’époque, que le ministre indonésien s’était entretenu avec « des représentants d’entreprises françaises produisant des « munitions [MBDA?], des avions de chasse [Dassault Aviation, ndlr], des navires [Naval Group], des radars [Thales] ». Selon la Tribune, une commande potentielle de 48 Rafale aurait été évoquée. Interrogé à ce sujet par la presse de son pays, M. Prabowo refusa de faire le moindre commentaire.

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