Accord de Doha : Le Pentagone minimise les attaques des insurgés afghans quand l’Otan dit s’attendre à des déceptions

Au départ, l’intervention militaire américaine en Afghanistan visait à y détruire les sanctuaires d’al-Qaïda afin d’empêcher de nouvelles attaques de même ampleur que celles du 11 septembre 2001. Puis, les objectifs changèrent de nature… dans la mesure où il fut par la suite question de rétablir les institutions afghane [ce que l’on appelle, pour résumer, le « nation-building »] tout en empêchant le retour du mouvement taleb afghan, auquel l’organisation fondée par Oussama ben Laden fit allégeance.

Durant les années qui suivirent, et malgré des difficultés flagrantes [comme celles des forces armées afghanes, confrontées à de lourdes pertes, à un taux de désertion important, à de la corruption et à l’analphabétisme], les responsables américains, ainsi que ceux de l’Otan, s’attachèrent à décrire une situation meilleure qu’elle ne l’était vraiment. En tout cas, c’est ce qu’ont démontré les documents publiés par le Washington Post en décembre dernier. Cependant, on pouvait s’en douter sans la diffusion de ces « afghan papers » [voir un exemple ici].

Ainsi, a raconté le colonel Bob Crowley, conseiller de la Force internationale d’assistance à la sécurité [ISAF, sous commandement de l’Otan] entre 2013 et 2014, « chaque point de données statistiques était modifié pour présenter la meilleure image possible. » Et d’ajouter : « Les mauvaises nouvelles étaient souvent étouffées. […] Lorsque nous avons essayé d’exprimer des préoccupations stratégiques plus vastes sur notre capacité à l’emporter ou la corruption, il était clair que ce n’était pas le bienvenu. »

Or, l’intérêt des documents diffusés par le Washington Post est de montrer le décalage entre les discours tenus par les responsables américains et leur connaissance de la situation. Par exemple, ancien envoyé spécial à Kaboul de Barack Obama, James Dobbins ne se faisait pourtant aucune illusion. « Nous n’intervenons pas dans des pays autoritaires pour les démocratiser. Nous intervenons dans  des pays violents pour les rendre pacifiques, et nous avons clairement échoué en Afghanistan », a-t-il affirmé.

Qu’en est-il maintenant, après que les États-Unis et le mouvement taleb ont signé un accord à Doha, le 29 février, afin d’ouvrir la voie à un désengagement militaire américain et à un processus de paix en Afghanistan? Il est à craindre que les responsables américains aient gardé la même attitude. Mais, cette fois, pour d’autres raisons.

« Les États-Unis ont survendu l’accord avec les taliban dans leur zèle pour concrétiser le désir de [Donald] Trump de quitter l’Afghanistan après plus de 18 ans de guerre », fait ainsi valoir Bill Roggio, chercheur principal à la Fondation pour la défense des démocraties [et animateur du site Long War Journal]. Un exemple? « Dimanche, [le secrétaire d’État Mike] Pompeo a affirmé que les taliban avaient dénoncé al-Qaïda et s’était engagé à ‘détruire’ ce groupe. Cependant, l’accord ne dit rien de tel », dénonce-t-il dans les colonnes du Wasington Examiner. Et pour cause : le mouvement taleb afghan reste lié avec l’organisation jihadiste.

Quoi qu’il en soit, l’encre de l’accord de Doha à peine sèche, le mouvement taleb afghan a rompu la trève qui avait été instaurée quelques jours plus tôt en relançant ses attaques contre les forces afghanes. Ce qui ne va pas dans le sens de discussions avec les autorités de Kaboul dans le cadre d’un processus de paix en faveur duquel il s’est pourtant engagé.

Selon le ministère afghan de l’Intérieur, il y aurait eu ainsi 30 attaques lancées par les insurgés dans 15 des 34 provinces d’Afghanistan entre les 3 et 4 mars. L’une d’elle a d’ailleurs contraint les forces américaines à intervenir avec une frappe aérienne, effectuée en soutien de troupes afghanes a priori en fâcheuse posture.

Pour autant, pour le général Mark Milley, le chef d’état-major interarmées américain, il n’y a pas matière à s’inquiéter outre mesure. « Il y a eu diverses attaques ces dernières 24 ou 48 heures et elles sont repoussées », a-t-il dit, le 5 mars, alors qu’il était entendu par commission du Sénat. « Mais ce qui est important pour l’accord, c’est que c’étaient des attaques petites, limitées, sur des postes de contrôle, etc », a-t-il ajouté.

L’accord signé à Doha « comprend une série d’engagements pris par les taliban : pas d’attaque contre les 34 capitales de provinces, pas d’attaque contre Kaboul, pas d’attaque spectaculaire, pas d’attentat suicide, pas de voiture piégée, pas d’attaque contre les forces américaines, pas d’attaque contre les forces de la coalition [comprendre : celles de la mission Resolute Support de l’Otan, ndlr] », a avancé le général Milley.

Pour le chef du Pentagone, Mark Esper, « les taliban honorent l’accord du fait qu’ils n’attaquent pas les forces américains ou celles de la coalition, mais ils ne l’honorent pas en termes de réduction de la violence. » Et, dans le même temps, il a dit « comprendre les difficultés des responsables taliban à contrôler leurs troupes sur le terrain ».

Sauf que c’est le porte-parole du mouvement taleb, Zabihullah Mujahid, qui a annoncé la reprise des combats contre les forces afghanes. « Conformément à l’accord [avec les États-Unis], nos moudjahidines n’attaqueront pas les forces étrangères, mais nos opérations continueront contre les forces du gouvernement de Kaboul », a-t-il en effet affirmé, le 4 mars. Aussi, les attaques de ces dernières heures ne sont pas le fait « d’irréductibles », comme la sous-entendu M. Esper.

La tonalité n’est pas exactement la même du côté de l’Otan. Le secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, a en effet dit s’attendre à des « déceptions » après l’accord de Doha.

« Le chemin vers la paix sera long et difficile et nous devons nous préparer à des déceptions », a déclaré M. Stoltenberg, dans un entretien accordé à l’AFP, depuis Zagreb. Et l’accord de Doha « est un premier pas important, mais ce n’est qu’un premier pas », a-t-il ajouté, estimant que la « seule façon de parvenir à une solution pacifique est de négocier un accord et de parler aux taliban. »

Ces derniers « doivent honorer leur engagement. Nous devons voir une réduction de la violence », a insisté le secrétaire général de l’Otan. « Et nous devons également veiller à ce que les négociations inter-afghanes qui font partie de l’accord commencent comme prévu. Car la seule façon de parvenir à une solution de paix durable et viable en Afghanistan est un processus que les Afghans s’approprient et qu’ils dirigent », a-t-il ajouté.

« L’Otan veut permettre une solution pacifique. La raison pour laquelle nous entraînons les forces de sécurité afghanes est d’envoyer un message clair aux talibans : ‘vous ne gagnerez pas la bataille, alors maintenant, asseyez-vous et faites ces compromis' » a encore expliqué M. Stoltenberg. Et de conclure : « Nous resterons donc engagés en Afghanistan, nous continuerons à former, à aider et à conseiller les forces de sécurité afghanes, nous continuerons à leur fournir des fonds. »

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