Spécialiste français de la vision nocturne, Photonis serait sur le point d’être repris par l’américain Teledyne

Depuis que la société d’investissement Ardian a fait part de son intention de s’en séparer, la pépite technologie française Photonis, spécialiste de la vision nocturne [entre autres] suscite la convoitise des groupes et des fonds américains… mais pas celle, visiblement, de leurs homologues tricolores…

S’agissant de la vision nocturne, Photonis a une longueur d’avance sur ses concurrents, notamment avec sa caméra CMOS Kameleon qui, primée par l’Association de l’Armement Terrestre [AAT] en 2015, permet de filmer en couleur pendant la nuit. Mais ce n’est pas tout : l’entreprise produit aussi des tubes de puissance pour les communications militaires ainsi que des composants du laser Megajoule, utilisé dans le cadre du programme « Simulation » de la dissuasion nucléaire française.

Autant dire que Photonis revêt une importance stratégique, comme l’avait reconnu, lors d’une audition parlementaire, en septembre dernier, le Délégué général pour l’armement, Joël Barre. À cette occasion, ce dernier fit part d’intiatives en vue de maintenir l’entreprise sous pavillon français.

« Photonis est une société spécialisée dans l’intensification de la lumière. Nous n’avons pas décrété qu’elle ne serait pas stratégique, nous savons que le fonds Ardian cherche à la mettre en vente et nous avons demandé à deux maîtres d’oeuvre compétents en matière d’optronique, Thales et Safran, de se pencher sur le dossier. Soit ceux-ci s’entendent et rachètent cette entreprise, soit Ardian la revend à un fonds et, si celui-ci est étranger, nous appliquerons la réglementation en vigueur », avait expliqué M. Barre.

Seulement, les deux groupes français n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente… alors que, dans le même temps, 17 députés lancèrent un appel transpartisan pour éviter de voir Photonis et Latécoère [alors sous le coup d’une OPA lancée par le fonds américain Searchlight] passer sous contrôle étranger. « Notre autonomie stratégique repose sur notre aptitude à maîtriser des compétences scientifiques, technologiques et industrielles clés », avaient-ils plaidé.

S’agissant de Latécoère, la messe est déjà dite, Searchlight ayant réussi son offre publique d’achat, laquelle lui a permis d’acquérir 62,76% du capital de l’équipementier aéronautique. Quant à Photonis, le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, a assuré, mi-février, sur les ondes de Sud Radio, que ses services allaient examiner « toutes les options industrielles » et qu' »aucune décision » n’avait été prise « à ce stade ». Et d’ajouter : « Nous serons très attentifs au respect de nos intérêts de souveraineté. »

Mais, a priori, la solution qui tiendrait la corde serait celle avancée par le groupe américain Teledyne. Selon des informations révélées par le quotidien « Les Échos », ce dernier est entré en négociations exclusives avec le fonds Ardian pour le rachat de Photonis. Le journal précise que la valeur de l’opération serait d’un « peu moins de 500 millions d’euros ».

Ce rachat entre dans le cadre de la stratégie de Teledyne, qui veut développer ses activités dans l’optronique, les instruments de contrôle et l’imagerie.

« Après le rachat du fabricant des appareils de mesure des rayonnements nucléaires Canberra et Premium Analyse, spécialiste français de la détection du gaz tritium, par l’américain Mirion, nous sommes en passe de créer de nouvelles dépendances technologiques vis-à-vis d’acteurs étrangers très proches du ministère américain de la Défense », a déploré une source au fait du dossier dans les colonnes du quotidien économique.

Cela étant, en janvier, en réponse à l’appel lancé par les 17 députés, le Premier ministre, Édouard Philippe, a rappelé que de tels investissements étrangers sont « susceptibles d’être contrôlés au titre de la réglementation prévue par le code monétaire et financier », laquelle « s’applique quand trois critères cumulatifs sont réunis » [nature étrangère de l’investisseur, importance de la participation qu’il envisage de prendre dans une société et atteinte ou non aux intérêts nationaux].

Et M. Philippe d’ajouter : « Lorsque ces trois critères sont réunis, le ministre chargé de l’économie n’autorise l’investissement que dans des conditions permettant d’assurer que celui-ci ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux concernés. Ces conditions sont adaptées à l’investissement et visent essentiellement à garantir la pérennité des acitivités sensibles en France. »

Par ailleurs, le Premier ministre a également rappelé que la législation en vigueur, qui repose essentiellement sur les articles e l’article R 153-2 et R 153-9 du Code monétaire et financier ainsi que sur le décret n° 2014-479 « relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable », va être renforcée à partir du second semestre 2020, via un nouveau projet de décret en Conseil d’État. L’une de ses dispositions vise à « mieux protéger nos technologies clés en listant par arrêté les secteurs de recherche et développement soumis au contrôle, afin de rapidement tirer profit des différents travaux engagés par le Gouvernement dans ce domaine. »

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