Outre-Mer : Une étude plaide pour un renforcement des forces françaises de présence et de souveraineté

Peu de pays disposent d’un réseau de forces prépositionnées hors de leurs de leurs frontières. Parmi ceux-ci, les États-Unis arrivent en tête, avec pas moins de 600 emprises militaires à travers le globe. Vient ensuite – et cela n’est pas souvent mis en avant – la Russie, avec un dispositif comptant 16.000 soldats déployés et surtout concentré dans son environnement proche [anciennes républiques soviétiques, notamment]. Et la France devance le Royaume-Uni, laquel a toutefois a affiché l’intention, l’an passé, de revenir « à l’est de Suez » et donc de revoir la doctrine « Wilson », qui consistait à réduire la présence militaire britannique de par le monde. Enfin, la Chine cherche également à se doter de « points d’appuis », comme le montre son implantation récente à Djibouti;

Le réseau militaire français se divise en deux catégories : les forces de souveraineté sont présentes dans les départements et territoires outre-Mer [Guyane, Nouvelle-Calédonie, Réunion, Antilles, Polynésie] tandis que, dans le cadre d’accords bilatéraux de défense, les forces de présence sont déployées aux Émirats arabes unis, à Djibouti, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

Ces derniers années, ces forces françaises prépositionnées et de souveraineté, malgré leur contribution aux principales « fonctions stratégiques » [connaissance et l’anticipation, prévention, protection et intervention], voire à leur rôle éventuel d’appui à la dissuasion, ont significativement été réduites en deux phases : d’abord lors de la professionnalisation des armées [1995-2001], puis au cours des années 2007-2013, avec la Révision générale des politiques publiques [RGPP], laquelle prévoyait une réduction de 40% de leurs effectifs, ainsi que leur réorganisation, avec notamment l’implantation d’une base aux Émirats arabes unis, aux dépens de celle de Djibouti. En outre, le report de certains programmes d’armement, comme le renouvellement des patrouilleurs de la Marine nationale, a donné lieu à des ruptures temporaires de capacité [RTC].

À partir de 2015, il a été mis un terme à cette politique, ce qui a permis, par exemple, de maintenir les effectifs militaires français à Djibouti à 1.450 personnels, contre 950 précédemment [une telle perspective inquiétait les autorités djiboutiennes sur la capacité de la France à honorer l’accord de défense conclu avec ces dernières, ndlr] ou encore à conserver les Forces françaises en Côte d’Ivoire [FFCI], appelées à s’effacer.

Désormais, la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 indique que les forces de prépositionnées et de souveraineté soient dotées « des effectifs suffisants et des équipements adéquats ».

« Le dispositif de présence et de souveraineté est aujourd’hui arrivé au terme de plus d’une décennie de transformations lesquelles ont vu […] la réduction d’un quart de leurs effectifs et la prolongation de quasiment tous les matériels anciens. […] Si le système de forces français semble aujourd’hui être arrivé à une forme de stabilité capacitaire, cette dernière cache cependant une tension importante sur des moyens ‘taillés au plus juste' », résume une étude que vient de publier l’Institut français des relations internationales [IFRI] à la demande de l’État-major des armées [EMA].

D’autant plus que les mutations de l’ordre international [affirmation de puissance de la part de certains pays, comme la Chine et la Russie, remise en cause du droit international et du multilatéralisme] ainsi que les enjeux économiques, démographiques et climatiques vont bouleverser l’environnement géopolitique des forces françaises de présence et de souveraineté. Et le tout, avec la persistance de la menace terroriste et des activités du crime organisé.

« Le constat clairement énoncé par la Revue stratégique [d’octobre 2017] d’un durcissement des menaces procède de plusieurs tendances de fond qui se traduiront de façon croissante sur le dimensionnement capacitaire de notre dispositif militaire, en métropole comme outre-Mer et à l’étranger », avance l’étude de l’IFRI.

Ce « durcissement » se traduit par la diffusion de systèmes d’armes avancés [missiles de courte et moyenne portée, drones civils modifiés, moyens de renseignement, etc] à des acteurs qui, jusqu’alors, n’avaient pas les moyens de s’en procurer. « Cet ensemble dessine pour les années à venir une forme de ‘nivellement capacitaire’ au moins comparable à celui ayant découlé de la démocratisation des armes automatiques au milieu du XXe siècle, avec les conséquences que l’on sait pour les armées occidentales », souligne l’IFRI, pour qui cela pose la question du « dimensionnement basse intensité de nos forces de présence et de souveraineté ».

Ces dernières devront également prendre en compte la « prolifération » des capacités de déni et d’interdicition d’accès étant donné qu’elles peuvent être les « premières cibles de la stratégie adverse d’interdiction ». Or, avance l’étude, le dispositif prépositionné français « n’est pas pensé aujourd’hui comme un outil de défense – et encore moins d’attaque – autonome. À cela vient s’ajouter le « développement des capacités de projection de forces adverses », ce qui pourrait être « lourd de conséquence. »

« Des zones jusqu’alors hors de portée de toute menace conventionnelle, comme la Polynésie française, par exemple, ne seront à l’avenir plus aussi isolées qu’auparavant. Cet enjeu pose à terme la question des moyens français de protection de l’ensemble du territoire, y compris ultra-marin, et le cas échéant de l’émergence d’une propre stratégie nationale de déni d’accès », note l’IFRI.

Certes, la dissuasion nucléaire peut suffire pendant encore longtemps à garantir la protection des « intérêts vitaux » de la France. Cependant, il faut également composer avec les stratégies dites « hybrides », qui se situent à la limite de la compétition « pacifique et légale » et de la « confrontation indirecte », avec le recours à des sociétés miliaires privées [SMP] et/ou de « proxies », avec, en parallèle, une « guerre des perceptions ».

Aussi, l’IFRI invite à s’adapter à la « géopolitique du XXIe siècle », ce qui passe, notamment, par la nécessité de mettre à niveau les capacités des forces françaises de présence et de souveraineté.

Pour l’armée de l’Air, qui doit déjà faire avec une lourde « dette d’infrastructures » pour ses emprises ultra-marines, l’étude préconise de déployer en permance un avion de transport A400M par bassin océanique pour remédier aux insuffisances des CASA CN-235 [aux capacités sous-dimensionnées], d’acquérir davantage d’hélicoptères Caracal [voire des NH-90] pour remplacer les Puma à bout de souffle et d’améliorer la protection de ses bases contre les menaces aériennes.

S’agissant de la Marine, le remplacement des patrouilles P400 a enfin été lancé. Mais l’étude de l’IFRI note que les navires qui leur succéderont [les POM, pour patrouilleurs outre-Mer] devront disposer, a minima, d’une « capacité d’agression » avec un canon de 20mm, d’un poste de tir surface-air courte portée et de moyens de communication et de détection accrus, tant au niveau aérien que sous-marin. Il s’agirait aussi de faire un effort particulier en faveur des capacités hauturières de transport amphibie, « cruciale pour la projection des forces ». Les capacités en matière d’aviation de patrouille maritime devraient être plus ambitieuses, avec l’objectif de doter chacune des cinq forces de souveraineté avec un moins un appareil. Enfin, le renouvellement des frégates de surveillance de type Floréal sera incontournable.

Enfin, quant à l’armée de Terre, ses unités présentes outre-Mer ont des capacités « nettement orientées vers le bas du spectre », dépourvues de blindés et de systèmes d’armes avancés [le problème se posant avec moins d’acuité pour les forces de présence, nldr]. Aussi faudrait-il leur donner les moyens pour relever « le défi de la haute intensité » et faire face « aux enjeux de l’évolution du paysage de la coopération ».

Lire : « Confettis d’empire ou points d’appui ? L’avenir de la stratégie française de présence et de souveraineté » – Focus stratégique -IFRI – Février 2020

Photo : Marine nationale

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